une main qui tient une guitare

Perspectives

La Cour suprême de T.-N.-L. confirme que l’incapacité de mesurer l’affaiblissement des facultés causé par le cannabis et d’en gérer le risque en milieu de travail peut entraîner une contrainte excessive

Même avant la légalisation du cannabis au Canada, les employeurs étaient aux prises avec les conséquences de la consommation de cannabis thérapeutique au travail. Cette situation constitue un défi particulier pour les emplois comportant des contraintes de sécurité, car les employeurs doivent maintenir un équilibre délicat entre la sécurité et le respect des droits de la personne.

La récente décision de la Cour suprême de Terre-Neuve‑et‑Labrador dans International Brotherhood of Electrical Workers, Local 1620 v. Lower Churchill Transmission Construction Employers’ Association Inc., 2019 NLSC 48 (« Lower Churchill ») est une décision importante qui porte sur les limites de l’accommodement à l’égard d’employés qui consomment du cannabis thérapeutique dans un lieu de travail où la sécurité constitue un enjeu critique.

Contexte

L’employé, un ouvrier comptant plus de 30 ans d’expérience, souffrait de douleur chronique depuis plus de 10 ans en raison de la maladie de Crohn et d’arthrose. Après avoir essayé sans succès plusieurs traitements et médicaments traditionnels, il a finalement reçu une ordonnance médicale pour du cannabis, qui lui a procuré un meilleur soulagement de la douleur.

Après que l’employé eut révélé sa consommation de cannabis thérapeutique à son employeur, il s’est vu refuser du travail sur le projet de construction d’une ligne de transport d’énergie dans le cours inférieur du Churchill en raison de l’affaiblissement potentiel de ses facultés lors de l’exécution de fonctions sensibles sur le plan de la sécurité. Un grief a par la suite été déposé. Selon le syndicat, le refus était discriminatoire et contraire à la convention collective et aux lois sur les droits de la personne.

Le syndicat et l’employeur ont tous deux reconnu que l’employé était atteint d’une incapacité dont le traitement nécessitait la consommation de cannabis. Les parties ont également reconnu qu’aucun emploi exempt de contraintes de sécurité n’était disponible.

Sentence arbitrale et décision de la Cour suprême

En arbitrage, la principale question était de savoir si l’employeur s’était acquitté de son obligation d’accommoder l’incapacité de l’employé sans contrainte excessive.

Les preuves d’expert présentées par des omnipraticiens, des pharmacologues, des toxicologues et des spécialistes de la gestion de la douleur étaient contradictoires quant aux effets du cannabis et à la durée possible de l’affaiblissement des facultés. L’arbitre a conclu que le cannabis thérapeutique pouvait affaiblir la capacité d’un travailleur de remplir ses fonctions en toute sécurité dans un environnement comportant des contraintes de sécurité, que cet affaiblissement pouvait durer jusqu’à 24 heures, que l’employé pourrait être incapable de déterminer que ses facultés demeurent affaiblies et qu’il n’existait pas de méthodes pour évaluer avec exactitude en milieu de travail l’affaiblissement des facultés dû au cannabis.

Ainsi, l’arbitre a conclu qu’il y aurait contrainte excessive si l’employeur faisait travailler l’employé. En d’autres mots, comme l’employeur ne peut pas mesurer exactement les effets et la durée de l’affaiblissement des facultés, il ne peut gérer le risque pour la sécurité de manière appropriée. Par conséquent, le retour au travail de l’employé engendrerait un risque accru et inacceptable pour la sécurité.

En rejetant la demande de contrôle judiciaire, le juge Daniel M. Boone a conclu que les conclusions de l’arbitre appartenaient aux issues raisonnables possibles. Le syndicat a soutenu que l’employeur était tenu d’embaucher l’employé à moins de prouver un affaiblissement des facultés. Sur ce point, le juge Boone a confirmé qu’une fois que la question de l’affaiblissement des facultés avait été soulevée, l’employeur avait raisonnablement le droit de demander des renseignements médicaux prouvant la capacité de l’employé de travailler en toute sécurité. L’employeur n’avait pas l’obligation d’engager l’employé afin d’évaluer directement le risque.

Leçon à retenir

Puisqu’il existe peu de décisions publiées sur cette question, la décision Lower Churchill présentera sans aucun doute un intérêt et pourra avoir une certaine valeur de persuasion dans les décisions futures portant sur les limites de l’obligation d’accommodement d’un employeur qui est aux prises avec l’incapacité de mesurer et d’atténuer l’affaiblissement des facultés lié à la consommation de cannabis thérapeutique.