Le budget fédéral de 2019 a proposé plusieurs changements au régime canadien de lutte contre le blanchiment d’argent (LBA) afin de faciliter les enquêtes sur les cas présumés de blanchiment d’argent, l’échange de renseignements entre les entités gouvernementales, la prise de mesures d’exécution et la divulgation des infractions et des sanctions pour les actes répréhensibles.
En matière de blanchiment d’argent, le Canada a été associé ces dernières années à des termes tels que « lavage de neige » et « modèle de Vancouver ». Les initiatives budgétaires visent à renforcer la capacité du Canada de s’attaquer aux crimes financiers complexes et à contrer la perception de plus en plus répandue que le pays soit un refuge sûr pour le blanchiment des produits d’activités illégales.
Ces changements découlent des recommandations formulées par le Comité des finances de la Chambre des communes dans son récent examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, qui a pris fin en novembre 20181. Le comité a mis en lumière d’importantes lacunes législatives et organisationnelles dans les régimes canadiens de lutte contre le blanchiment d’argent, la fraude commerciale et le blanchiment d’argent par voies commerciales.
Le budget propose des modifications aux dispositions du Code criminel ayant trait au blanchiment d’argent et augmente à cet égard les fonds destinés aux enquêtes et à l’application de la loi par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). Il crée aussi deux nouveaux organismes de LBA : l’Équipe d’action, de coordination et d’exécution de la loi pour la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité (l’Équipe ACE) et le Centre d’expertise multidisciplinaire sur la fraude commerciale et le recyclage des produits de la criminalité de nature commerciale.
Pendant cinq ans, l’Équipe ACE fonctionnera comme un programme pilote et servira de forum interactif pour les organismes d’application de la loi et de renseignement. On ne sait pas encore si elle sera dotée de pouvoirs d’enquête ou s’il s’agira d’une initiative d’échange de renseignements.
Le Centre d’expertise multidisciplinaire sur la fraude commerciale et le recyclage des produits de la criminalité de nature commerciale renforcera la capacité de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et du CANAFE dans leurs efforts de lutte contre la fraude commerciale et le blanchiment d’argent, qui visent à dissimuler les produits de la criminalité dans les circuits commerciaux internationaux afin d’en légitimer l’origine illicite. Le Centre d’expertise multidisciplinaire peut s’inspirer de la Trade Transparency Unit établie par l’Immigration and Customs Enforcement des États-Unis, qui compare les données commerciales nationales et internationales correspondantes pour détecter et examiner les anomalies pouvant découler de la fraude commerciale et du blanchiment d’argent.
Le budget met en évidence les éléments suivants que ces nouveaux organismes doivent examiner de plus près :
- Les monnaies virtuelles (aussi appelées cryptomonnaies)
- Les entreprises de services monétaires à l’étranger, en ciblant le point de change entre les cryptomonnaies et les monnaies fiduciaires
- Les produits prépayés, comme les cartes-cadeaux ou les cartes de crédit prépayées
- L’identification du client
- L’immobilier (surtout en Colombie-Britannique)
- Les casinos (surtout en Colombie-Britannique)
Bien que l’attention concernant l’immobilier et les casinos se porte surtout vers la Colombie-Britannique, compte tenu de l’intérêt du public et des initiatives du gouvernement de cette province, les préoccupations sous-jacentes présentent un intérêt pour d’autres régions du pays et ont suscité l’attention en Ontario et ailleurs.
En plus de nouvelles dépenses et de la création de nouveaux organismes, le budget propose des modifications législatives visant à permettre au CANAFE de communiquer davantage de renseignements à d’autres entités gouvernementales, et en cas de délit de blanchiment d’argent, à faciliter les poursuites et la divulgation des infractions et des sanctions relatives aux actes répréhensibles.
Voici certaines des modifications législatives proposées :
- Modifier le Code criminel pour que l’infraction de blanchiment d’argent s’applique en cas de comportement insouciant. Cette mesure abaisse le seuil de poursuite et criminalise le fait de déplacer de l’argent ou des biens tout en étant conscient du risque que l’activité en cause soit du blanchiment d’argent. La loi actuelle exige que les procureurs prouvent qu’un accusé a agi dans l’intention de blanchir des biens qu’il savait ou croyait être un produit de la criminalité, ou qu’il a volontairement fermé les yeux sur ce risque.
- Modifier la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes aux fins suivantes :
- ajouter Revenu Québec et le Bureau de la concurrence en tant que destinataires du renseignement financier du CANAFE;
- élargir le pouvoir discrétionnaire du directeur du CANAFE en ce qui a trait à la divulgation de certains renseignements liés à une pénalité administrative pécuniaire;
- exclure l’identité d’une entité déclarante, la nature de l’infraction et le montant de la pénalité imposée de la portée de toute ordonnance de confidentialité afin que ces renseignements soient rendus publics;
- élargir la définition de « renseignements désignés » dans la Loi, ce qui pourrait accroître l’étendue des renseignements que le CANAFE pourrait communiquer à certains services de police, services de renseignement et autres organismes gouvernementaux.
- Modifier la Loi sur l’administration des biens saisis afin d’élargir l’accès de Services publics et Approvisionnement Canada aux services de spécialistes en gestion des actifs.
Le blanchiment d’argent est intrinsèquement lié à une activité criminelle systémique qui crée un risque pour les entreprises légitimes. La lutte contre la corruption, les sanctions économiques, la contrefaçon, le détournement de technologies contrôlées à l’exportation et la fraude financière constituent des risques importants pour les institutions financières, les entreprises industrielles et le secteur des services. Il y a bon nombre d’années que les institutions financières du monde entier renforcent leurs mesures de diligence raisonnable et de connaissance du client dans ces domaines. D’autres secteurs n’ont pas encore rattrapé leur retard, bien que les efforts déployés par la communauté internationale en matière d’application de la loi aient attiré davantage l’attention sur la lutte contre la corruption, les sanctions et le contrôle des exportations, notamment, faisant ainsi ressortir la nécessité de veiller au bon respect des obligations de diligence raisonnable et de connaissance du client.
1 Lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes : faire progresser le Canada, voir les recommandations 17, 20 à 23 et 25 à 27. Milos Barutciski, associé de BLG, a témoigné devant le Comité des Communes.