En juillet 2018, un géant des espaces de travail partagés a pris la décision d’encourager la consommation de nourriture végétalienne au sein de son entreprise. L’affaire a été fortement médiatisée. Concrètement, l’entreprise en question a retiré la viande du menu de sa cafétéria et de ses événements spéciaux et a cessé de rembourser les employés qui commandaient des mets non végétariens lors de repas d’affaires. Notons cependant que l’entreprise n’a pas interdit la consommation de viande sur les lieux de travail et ni contrôlé le contenu des boîtes à lunch de ses employés. Cette nouvelle politique était motivée par le désir de préserver l’environnement et de favoriser le bien-être des animaux.
À la suite de l’adoption de cette politique, plusieurs acteurs du milieu juridique se sont interrogés quant à sa légalité et ont invoqué différents droits protégés par la Charte des droits et libertés de la personne1 (ci-après « la Charte »). Il semble s’agir de la première fois au Québec qu’une entreprise adopte une politique qui fait activement la promotion d’une idéologie.
Cette politique faisant la promotion d’une alimentation « sans viande » au sein de l’entreprise vient raviver le débat sur les politiques qui touchent les droits des employés, mais dans une optique différente.
Pendant plusieurs années, un débat a fait rage sur la question de savoir si une politique qui encadrant de façon restrictive la tenue vestimentaire et l’apparence physique des employés était valide au regard de la Charte. Les tribunaux avaient alors conclu que les employeurs avaient le droit d’adopter une telle politique si elle était raisonnable et visait la protection de la santé et de la sécurité des employés ou du public ou encore si elle servait les intérêts légitimes de l’entreprise, et ce, même si elle entravait la liberté d’expression des employés. Les simples préférences exprimées par la clientèle ne pouvaient servir d’appui à ces restrictions. À titre d’exemple, la jurisprudence nous confirme qu’une entreprise serait justifiée d’interdire les tatouages à connotation sexiste ou raciste, incitant à la violence, faisant la promotion de la drogue ou de l’alcool ou pouvant avoir un caractère offensant. Le débat sur cette question semble clos et force est d’admettre qu’au cours des dernières années, le tatouage ou même le perçage corporel sont devenus des pratiques assez courantes et banales.
Mais qu’en est-il des politiques relatives aux nouveaux enjeux de société? À l’heure actuelle, la protection de l’environnement et des animaux ainsi que la santé sont plus d’actualité que jamais. Un employeur pourrait-il justifier l’adoption d’une politique qui contrevient aux droits de ses employés au motif qu’elle vise à répondre aux enjeux auxquels la société se trouve confrontée?
Ces politiques pourraient, par exemple, interdire sur les lieux de travail les objets de plastique ou de carton à utilisation unique ou encore les « lunchs » qui ne sont pas végétariens, végétaliens ou même « zéro déchet ». Elles pourraient aussi prévoir que le versement d’une prime par l’employeur à ses employés qui utilisent les transports en commun ou le vélo pour se rendre au travail ou des avantages aux employés non-fumeurs, qui ne font jamais de « pause-cigarette ».
Le fait qu’un employeur mette en place une politique pour de promouvoir une idéologie et un style de vie auprès de ses employés ou avantager certains d’entre eux en fonction de leurs habitudes de vie peut soulever certaines questions. Une telle politique pourrait être contestée notamment par le dépôt d’une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour atteinte à un droit garanti par la Charte. En effet, les employés mécontents pourraient invoquer leur droit à la vie privée, qui protège notamment leur sphère limitée d’autonomie personnelle où se forment des choix intrinsèquement personnels et privés2, ou leur droit à l’égalité, la politique ayant pour effet d’appliquer un traitement différent d’un employé à l’autre. Quant à l’employeur, il pourrait alléguer qu’en adoptant cette politique, il ne porte pas atteinte aux droits prévus à l’article 10 de la Charte, soit la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale ou le handicap et qu’il n’y a donc aucune discrimination, distinction ou préférence.
Chaque partie ayant des arguments légitimes, la validité d’une politique de ce type devra certainement être déterminée au cas par cas. Il appartiendra aux tribunaux de trancher la question en temps opportun.
1 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
2 Godbout c. Longueuil, [1997] 3 RCS 844.