Le 7 décembre 2016, le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») a décidé que les cadres « de premier niveau » travaillant à la Société des casinos du Québec (la « Société ») pouvaient se syndiquer, car l’article 1l)1° du Code du travail qui exclut l’employé-cadre de la définition de « salarié » était inopérant à leur égard puisqu’il porterait atteinte de façon injustifiée à la liberté d’association garantie par les Chartes.
La Société des casinos du Québec a demandé le contrôle judiciaire de cette décision et, après quatre journées d’audience, la Cour supérieure a rendu son jugement le 5 novembre dernier.
Les faits
L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (« ACSCQ ») avait déposé, le 10 novembre 2009, une requête en accréditation pour représenter les cadres « de premier niveau » travaillant dans le secteur des jeux du Casino de Montréal. La Société s’est opposée à la recevabilité de cette requête au motif que les cadres ne peuvent être visés par l’accréditation, étant exclus de la définition de « salarié » au sens du Code du travail.
Dans une décision étoffée, le TAT a conclu que :
- le fait d'exclure les cadres de la définition de « salarié » viole le droit de ces derniers de s'associer et de négocier collectivement leurs conditions de travail;
- cette violation n'est pas justifiée dans une société libre et démocratique.
Devant la Cour supérieure, la Société soutient que le TAT a notamment erré en appliquant le mauvais cadre d’analyse, en constitutionnalisant le régime du Code du travail et en garantissant à l’ACSCQ un modèle particulier de relations de travail, ce qui n’est pas l’objectif de la liberté d’association.
La décision
Après analyse, la Cour supérieure donne raison à la Société. La Cour supérieure rappelle que pour établir l’atteinte à la liberté d’association, l’ACSCQ devait démontrer trois éléments :
- sa contestation de l’exclusion des cadres visés au Code du travail repose sur la liberté d’association plutôt que sur l’accès à un régime légal précis;
- l’exclusion des cadres visés de l’application du Code du travail entraîne pour ceux-ci une entrave substantielle à la liberté d’association;
- l’État est responsable de cette entrave substantielle.
La Cour supérieure estime que le TAT a rendu la bonne décision quant à la nature de la contestation de l’ACSCQ. Quant à l’élément suivant, certains gestes posés par la Société, notamment le fait de refuser de négocier certaines conditions de travail importantes et de décider d’en modifier unilatéralement d’autres, limitent suffisamment la capacité des cadres visés de négocier collectivement leurs conditions de travail pour convaincre la Cour supérieure qu’il existe une entrave substantielle à leur liberté d’association.
Toutefois, contrairement au TAT, la Cour supérieure ne tient pas l’État responsable de cette entrave. Comme nous venons de le voir, cela découle plutôt de faits et gestes imputables à la Société qui sont des actes de nature privée et non de l’exclusion des cadres de l’application du Code du travail par l’État.
Enfin, la Cour supérieure ne croit pas que l’impossibilité pour les cadres de se prévaloir du droit de grève prévu par le Code du travail constitue en soi une entrave substantielle à la liberté d’association. En effet, selon la Cour supérieure, rien n’empêche les cadres de se livrer à un arrêt de travail concerté dans le cadre d’un processus de négociation de leurs conditions de travail.
De surcroît, le droit de grève étant constitutionnalisé et considéré comme une composante essentielle de la liberté d’association depuis l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan1, un cadre pourrait contester toute mesure qui lui serait imposée à la suite de l’exercice du droit de grève en utilisant les recours prévus par les Chartes en cas de violation à une liberté fondamentale.
Les conclusions
L’ACSCQ n’ayant pas démontré l’ensemble des éléments requis pour établir une atteinte à la liberté d’association découlant de l’exclusion des cadres du Code du travail, la Cour supérieure accueille le pourvoi en contrôle judiciaire, casse la décision rendue par le TAT et déclare valide et opérante constitutionnellement l’exclusion prévue à l’article 1l)1° du Code du travail.
Bien que cette décision vienne rétablir le statu quo, elle sera sans l’ombre d’un doute portée en appel. Il restera donc à voir comment se prononceront la Cour d’appel et, éventuellement, la Cour suprême du Canada avant de connaître la fin de cette saga judiciaire.
1 [2015] 1 RCS 245, 2015 CSC 4.