Le projet de loi n°176 intitulé Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail (le « projet de loi ») a été adopté et sanctionné le 12 juin 2018, soit peu après son dépôt à l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi modifie ainsi de nombreuses dispositions de la Loi sur les normes du travail (la « LNT »). La plupart des nouvelles dispositions sont d’ailleurs entrées en vigueur dès la date de la sanction. La majorité des changements décrits ci-dessous sont donc d’application immédiate, ce qui rend primordiale la lecture du présent résumé.
À noter que nous avions rédigé un article le 26 mars 2018 détaillant les modifications à la LNT qui étaient proposées par le projet de loi. Cela dit, au cours de l’étude du projet de loi en commission parlementaire, certains amendements ont été suggérés, puis adoptés. Bien que le texte final du projet de loi n’ait pas encore été rendu public, nous avons analysé les amendements au projet de loi qui ont été adoptés afin d’identifier rapidement les changements les plus significatifs et pertinents pour les employeurs.
Le présent article vise donc, dans un premier temps, à identifier les amendements importants au projet de loi qui ont été adoptés en commission parlementaire, puis, dans un second temps, à détailler de manière globale les principaux changements législatifs apportés à la LNT, à la lumière du texte final du projet de loi.
Amendements importants apportés au projet de loi
Nous portons à votre attention les amendements importants suivants qui ont été adoptés au cours de l’étude détaillée du projet de loi :
- Types d’absences protégées : Une absence pour cause de violence à caractère sexuel est désormais protégée par la LNT au même titre qu’une absence pour cause de maladie, de don d’organes ou de tissus, d’accident, de violence conjugale ou d’acte criminel;
- Politique de harcèlement psychologique : Non seulement tout employeur a l’obligation légale d’adopter une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes au sein de son entreprise, mais cette politique devra également inclure un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel;
- Recours en cas de harcèlement psychologique : Le délai pour déposer une plainte à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») est passé de 90 jours à 2 ans;
- Transmission d’une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse : Le projet de loi indiquait qu’en cas de plainte concernant une conduite à caractère sexuel, la CNESST aviserait sans délai la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la « CDPDJ »). Cette disposition a été modifiée et prévoit plutôt que lorsqu’une plainte concerne une conduite à caractère discriminatoire, elle sera transmise à la CDPDJ avec le consentement du salarié, dans le cadre d’une entente entre les deux organismes, portant notamment sur les modalités de collaboration, approuvée par le ministre;
- Recours à l’encontre de certaines disparités de traitement : Le délai pour déposer une plainte à la CNESST est passé de 90 jours à 12 mois.
- Permis requis pour toute agence de placement de personnel : La CNESST mettra à la disposition du public une liste des titulaires de ces permis qu’elle dressera elle-même et mettra à jour. Une mesure transitoire a également été expressément prévue pour toute agence de placement de personnel qui exercera ses activités au moment de l’entrée en vigueur des dispositions traitant des agences de placement de personnel et qui aura fait une demande de permis dans le délai prescrit.
Principaux changements législatifs apportés à la LNT (1)
Afin de faciliter la compréhension du lecteur, nous avons résumé ci-dessous les principaux changements législatifs apportés à la LNT à la lumière du texte final du projet de loi qui a été adopté et sanctionné.
- Salaire
- Durée du travail
- Jours fériés
- Congés annuels payés
- Absences pour cause de maladie de don d’organes ou de tissus à des fins de greffe, d’accident, de violence conjugale ou de violence à caractère sexuel
- Absences pour raisons familiales ou parentales
- Harcèlement psychologique
- Disparités de traitement
- Placement de personnel et travailleurs étrangers temporaires
- Dispositions pénales
Une agence de placement de personnel ne peut plus accorder à ses salariés un taux de salaire inférieur à celui consenti aux salariés de l’entreprise cliente qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement.
En ce qui concerne la durée du travail, l’employeur et le salarié peuvent convenir d’étaler les heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire, et ce, sans obtenir l’autorisation de la CNESST tel qu’il en était auparavant le cas (article 53 de la LNT). Cependant, l’accord devra être constaté par écrit et pourra prévoir l’étalement des heures de travail sur une période maximale de quatre semaines. La semaine de travail ne pourra toutefois pas excéder de plus de dix heures la semaine normale de travail prévue à la LNT. À noter que tant le salarié que l’employeur pourra résilier l’entente sur l’étalement des heures de travail, à condition de fournir un préavis d’au moins deux semaines avant la fin prévue de l’étalement convenu. Nous doutons que cette nouvelle disposition soit vraiment utile aux employeurs.
De plus, le projet de loi réduit à deux plutôt qu’à quatre le nombre d’heures supplémentaires que le salarié sera tenu d’accepter de faire et permet au salarié de refuser de travailler lorsqu’il n’a pas été informé au moins cinq jours à l’avance qu’il devra travailler (article 59.0.1 de la LNT). Ces modifications entreront seulement en vigueur en date du 1er janvier 2019.
Un salarié a maintenant droit à une indemnité non seulement lorsqu’il est en congé annuel pendant un jour férié, mais également lorsqu’un tel jour ne coïncide pas avec son horaire habituel de travail (article 64 de la LNT).
Le projet de loi accélère l’acquisition de la troisième semaine de congé annuel en prévoyant qu’un salarié avec trois années de service continu y aura droit, alors qu’actuellement, la LNT prévoit un minimum de cinq années de service continu pour avoir droit à cette troisième semaine (article 69 de la LNT). Cette modification sera effective à compter du 1er janvier 2019.
La LNT a longtemps prévu que les salariés bénéficiaient d’un droit d’absence protégé pendant une période d’au plus 26 semaines sur une période de 12 mois pour cause de maladie, de don d’organes ou de tissus à des fins de greffe ou d’accident. Désormais, les salariés pourront s’absenter, selon les mêmes modalités, pour cause de violence conjugale ou de violence à caractère sexuel (article 79.1 de la LNT). L’absence pour cause de violence conjugale ou pour cause de violence à caractère sexuel est donc protégée par la LNT de la même manière que les autres types d’absence historiquement prévus à la LNT.
Ces types d’absence ont toujours été sans salaire. Cependant, un salarié ayant au moins trois mois de service continu et qui s’absente pour l’un des motifs ci-haut mentionnés bénéficiera désormais de deux journées de maladie rémunérées par année, et ce, à compter du 1er janvier 2019.
La LNT prévoit que tout salarié peut s’absenter du travail dix journées par année pour des raisons familiales ou parentales (article 79.7 de la LNT). Historiquement, cette absence a toujours été sans salaire. Toutefois, le projet de loi prévoit que les deux premières journées de maladie prises chaque année seront désormais rémunérées dès lors que le salarié justifie de trois mois de service continu, et ce, à compter du 1er janvier 2019.
Il est à noter que l’employeur ne sera pas tenu de rémunérer plus de deux journées par année lorsqu’un salarié s’absentera du travail pour des raisons familiales et parentales (article 79.1 de la LNT) et pour toute autre cause absence protégée par la LNT au cours de la même année.
Le projet de loi prévoit aussi que l’employeur pourra demander au salarié de lui fournir un document attestant des motifs de l’absence pour raisons familiales ou parentales.
Quant à la durée de l’absence pour prendre soin d’un parent ou d’une personne pour laquelle le salarié agit comme proche aidant en raison d’une grave maladie ou d’un grave accident, elle augmente désormais de 12 à 16 semaines sur une période d’un an (article 79.8 de la LNT). Lorsque ce parent ou cette personne sera un enfant mineur, la période d’absence sera de 36 semaines sur une période de 12 mois.
Par ailleurs, la LNT introduit un nouveau type d’absence pour tout salarié qui doit prendre soin d’un parent autre qu’un enfant mineur ou d’une personne pour laquelle le salarié agit comme proche aidant en raison d’une maladie potentiellement mortelle. Cette absence protégée est d’une durée de 27 semaines sur une période de 12 mois.
Une absence causée par la disparition d’un enfant mineur ou par le décès d’un père, d’une mère, d’un enfant majeur ou d’un conjoint par suicide augmente de 52 à 104 semaines (articles 79.10 et 79.11 de la LNT). Le décès de l’enfant mineur entraînera, quant à lui, le droit à une absence pendant une période de 104 semaines. La période maximale d’absence pour ces absences sera de 104 semaines (article 79.15 de la LNT).
À l’occasion d’un décès ou de funérailles, un salarié pourra s’absenter pendant deux journées plutôt qu’une sans réduction de salaire et pendant trois journées plutôt que quatre sans salaire (article 80 de la LNT). Cette modification sera applicable dès le 1er janvier 2019.
Enfin, toujours à compter du 1er janvier 2019, deux des cinq journées accordées en cas d’absence à l’occasion de la naissance ou de l’adoption seront rémunérées pour tous les salariés, peu importe la durée de leur service continu avec l’employeur (article 81.1 de la LNT).
La définition du harcèlement psychologique inclut désormais expressément les paroles, les actes et les gestes à caractère sexuel (article 81.18 de la LNT).
Parmi les moyens raisonnables que l’employeur devra prendre pour prévenir le harcèlement psychologique, le projet de loi ajoute que l’employeur devra adopter et rendre disponible aux salariés une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes (article 81.19 de la LNT). Cette politique devra également inclure un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel. La méthode exacte que devra privilégier l’employeur pour rendre la politique disponible n’est toutefois pas spécifiée par le projet de loi.
Quant au recours des salariés en cas de harcèlement psychologique, ils auront désormais deux ans suivant la dernière manifestation de la conduite de harcèlement psychologique pour déposer leur plainte à la CNESST. Ce délai a été allongé de façon significative, considérant qu’il était autrefois de 90 jours (article 123.7 de la LNT).
Plus encore, la LNT prévoit désormais que lorsqu’une plainte concerne une conduite à caractère discriminatoire, la CNESST transmettra la plainte à la CDPDJ, avec le consentement du salarié, dans le cadre d’une entente entre les deux organismes, portant notamment sur les modalités de collaboration entre autres afin de prévenir que le délai de transmission de la plainte ne porte préjudice au salarié (article 123.6 de la LNT). Il sera intéressant de voir en quoi consisteront de telles modalités et comment ce nouveau processus, qui pourrait provoquer une multiplication des recours, se développera au cours des prochains mois.
Enfin, lorsque le Tribunal administratif du travail se penchera sur une plainte de harcèlement psychologique, il est désormais expressément prévu à la LNT qu’il pourra tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire, incluant le caractère discriminatoire de la conduite (article 123.15 de la LNT).
Le projet de loi a ajouté une nouvelle interdiction quant à une distinction fondée uniquement sur une date d’embauche relativement à des régimes de retraite ou à d’autres avantages sociaux (article 87.1 de la LNT). Cette nouvelle disposition fait suite à une décision de la Cour d’appel du Québec2 qui avait établi que l’article 87.1 de la LNT ne s’appliquait pas aux conditions de travail que constituent les avantages sociaux et le régime de retraite. Le législateur vient donc répondre à cette interprétation par l’introduction d’une disposition spécifique à cet effet.
Un nouveau recours a également été introduit pour tout salarié qui croit être victime d’une disparité de traitement. Dans un tel cas, le salarié pourra adresser une plainte par écrit à la Commission dans les 12 mois de sa connaissance de la distinction qu’il souhaite contester.
Il est maintenant expressément prévu que les agences et les entreprises clientes qui recourent aux services d’un salarié seront désormais solidairement responsables des obligations pécuniaires envers ce salarié.
De nouvelles règles spécifiques aux agences de placement de personnel et aux agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (les « agences ») entreront bientôt en vigueur. En effet, les agences seront désormais obligées de détenir un permis délivré par la CNESST. La CNESST dressera une liste des agences titulaires de ces permis, la mettra à la disposition du public et la mettra à jour au fil du temps. Une entreprise cliente ne pourra désormais pas retenir les services d’une agence qui n’est pas titulaire d’un tel permis. Quiconque contrevient à ces obligations en matière de placement de personnel est susceptible de devoir payer une amende de 600 $ à 12 000 $.
Une mesure transitoire a également été expressément prévue pour toute agence de placement de personnel qui exercera ses activités au moment de l’entrée en vigueur des dispositions concernant les agences, et qui aura fait une demande de permis dans les 45 jours de cette date. Dans ces cas, l’agence pourra continuer à exercer ses activités sans être titulaire d’un permis jusqu’à ce que la CNESST rende une décision sur sa demande.
Par ailleurs, une agence dont le permis serait refusé, suspendu, révoqué ou non renouvelé, ou une agence qui se verrait imposer une mesure administrative, aura un recours au Tribunal administratif du travail.
Enfin, tout employeur qui embauche un travailleur étranger temporaire doit désormais informer sans délai la CNESST de la date d’arrivée du travailleur, de la durée de son contrat et, si la date de son départ ne coïncide pas avec la fin de son contrat, de la date et des raisons de son départ. Notons que l’employeur ne peut exiger qu’un travailleur étranger lui confie la garde de documents personnels ou biens qui lui appartiennent.
À noter que l’ensemble des dispositions relatives aux agences prendront effet à la date d’entrée en vigueur du règlement d’application lorsqu’il sera publié par le gouvernement.
L’administrateur ou le dirigeant est maintenant présumé avoir commis l’infraction reprochée à la personne morale, la société ou l’association, à moins qu’il ne puisse démontrer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable en prenant toutes les précautions nécessaires pour en prévenir la perpétration (article 142 de la LNT). Autrefois, cette disposition prévoyait que le dirigeant, l’administrateur, l’employé ou l’agent est réputé être partie à l’infraction s’il a prescrit, autorisé, consenti ou acquiescé à l’accomplissement de l’infraction.
Considérant que la notion de diligence raisonnable n’est pas définie à la LNT, nous étudierons les décisions à venir afin de voir de quelle façon cette notion sera interprétée par les tribunaux.
Entrée en vigueur des changements législatifs
Les modifications à la LNT sont pour la plupart relativement importantes et, surtout, d’application immédiate. En effet, sauf exceptions, les dispositions mentionnées ci-dessus sont entrées en vigueur le 12 juin 2018 et doivent dès maintenant être suivies par tout employeur ayant des activités au Québec.
Les dispositions suivantes entreront en vigueur le 1er janvier 2019 :
- la durée maximale du travail (article 59.01.1 de la LNT);
- les trois semaines de congés annuels payés (article 69 LNT);
- le paiement de deux journées par année en cas d’absence pour cause de maladie (article 79.2 de la LNT) ou pour des raisons familiales ou parentales (article 79.7 de la LNT);
- la durée des absences à l’occasion d’un décès ou de funérailles et le paiement de certaines journées (article 80 de la LNT);
- le droit à l’absence pour cause de naissance ou d’adoption, peu importe la durée du service continu du salarié (article 81.1 de la LNT);
- l’obligation d’adopter et de distribuer une politique de prévention du harcèlement (article 81.19 de la LNT);
Quant aux dispositions portant sur les agences, elles prendront effet à la date d’entrée en vigueur du règlement d’application qui sera publié par le gouvernement.
Conclusions
L’entrée en vigueur des changements à la LNT requerra une révision des différentes pratiques et politiques de l’employeur, de ses lettres d’embauche et de son manuel de l’employé (le cas échéant). Plus spécifiquement, l’adoption d’une politique de prévention de harcèlement psychologique sera impérative pour tout employeur au Québec.
Nous recommandons également à tout employeur de renforcer ses pratiques en matière d’enquête et de préservation de la preuve considérant la longueur du délai qui pourra désormais s’écouler entre la conduite de harcèlement en milieu de travail et le dépôt d’une plainte à la CNESST.
1 À noter que la présente section ne vise pas à décrire tous les changements législatifs apportés à la LNT, mais bien ceux que nous avons identifiés comme étant les plus significatifs ou les plus susceptibles d’intéresser le lecteur.