En l'espace de deux semaines, période de grande tension dramatique, les écoles catholiques de la Saskatchewan ont perdu, puis apparemment récupéré, le droit de recevoir du financement pour les élèves non catholiques qui les fréquentent.
Le 20 avril 2017, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (la « Cour ») a rendu sa décision dans l'affaire Good Spirit School Division No. 24 v. Christ the Teacher Roman Catholic Separate School Division No. 212 and the government of Saskatchewan (« Good Spirit »)1. Elle a statué que le gouvernement de la province ne pouvait financer les écoles catholiques à l'égard des élèves non catholiques qui les fréquentent, parce que, ce faisant, il contrevient aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »)2 sur la liberté de religion et les droits à l'égalité.
Par suite d'une intervention inattendue, le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, a annoncé le 1er mai suivant que le gouvernement provincial invoquerait la clause dérogatoire de la Charte en vue de passer outre à la décision de la Cour3. Ce sera la cinquième fois seulement que cette clause est mise en application depuis l'entrée en vigueur de la Charte, il y a 35 ans, et la première fois qu'elle est invoquée depuis 2000.
Indépendamment du recours à la dérogation par le gouvernement, la décision Good Spirit offre une analyse intéressante des droits des écoles confessionnelles au Canada et met en lumière les tiraillements entre la protection constitutionnelle du droit à des écoles séparées et les intérêts des non-Catholiques.
Droits des différentes confessions en matière d'éducation au Canada
Pour comprendre la décision de la Cour du Banc de la Reine dans Good Spirit, il est nécessaire de connaître dans leurs grandes lignes les droits rattachés aux écoles confessionnelles au Canada.
Les Catholiques romains et les Protestants en Saskatchewan et en Alberta de même que les Catholiques romains en Ontario jouissent du droit à l'éducation religieuse énoncé au paragraphe 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 (la « Loi constitutionnelle4 »). Cette protection constitutionnelle découle d'un compromis issu de la Confédération, suivant lequel les dispositions législatives d'une province à l'égard des écoles confessionnelles qui étaient en vigueur au moment de l'adhésion de la province à la Confédération devaient rester valides par la suite.
Seuls l'Alberta, la Saskatchewan, Terre-Neuve, l'Ontario et le Québec avaient légiféré au sujet des écoles confessionnelles lorsqu'ils sont entrés dans la Confédération. Terre-Neuve et le Québec ont depuis aboli les droits relatifs aux écoles confessionnelles au moyen de modifications constitutionnelles, mais le droit à des écoles séparées continue d'être l'objet de litiges en Alberta, en Saskatchewan et en Ontario.
Les faits dans Good Spirit
Good Spirit découle de la création d'une école élémentaire à Theodore, en Saskatchewan. En 2003, la division scolaire de Yorkdale (devenue depuis la division scolaire Good Spirit) a fermé son école élémentaire à Theodore en raison du nombre insuffisant d'élèves, ce qui signifiait que 42 élèves devaient dorénavant être transportés par autobus jusqu'à l'école d'une communauté avoisinante, à 17 kilomètres plus loin. C'est alors qu'un groupe de Catholiques romains de la collectivité a demandé au ministère de l'Éducation de la Saskatchewan de créer une division scolaire catholique, laquelle a acheté l'ancienne école, qui a pris le nom de St. Theodore Roman Catholic School5. Bon nombre de non-Catholiques à Theodore ont choisi d'envoyer leurs enfants à l'école catholique locale plutôt qu'à l'école publique la plus proche, où les élèves devaient se rendre en autobus. Quand l'école a ouvert ses portes en 2003, seulement 31 % des élèves étaient catholiques. À la date du procès, seulement 35 % des élèves inscrits étaient catholiques6.
La division scolaire publique Good Spirit a contesté devant les tribunaux le financement versé par le gouvernement à l'égard d'élèves appartenant à un groupe confessionnel non minoritaire qui fréquentent des écoles catholiques en Saskatchewan7.
Analyse de la Cour
Il est bien établi que les pratiques protégées par le droit à des écoles confessionnelles énoncé à l'article 93 de la Loi constitutionnelle ne peuvent être invalidées en vertu de la Charte (car une partie de la Constitution ne peut servir à attaquer une autre de ses parties). Par conséquent, dans Good Spirit, la Cour a dû déterminer en premier lieu si le financement versé par le gouvernement provincial à l'égard d'élèves non catholiques fréquentant une école séparée était protégé par l'article 93 de la Loi constitutionnelle. Si c'était le cas, aucune contestation ne pouvait se fonder sur la Charte.
La Cour a d'abord confirmé que le paragraphe 93(1) de la Loi constitutionnelle protège seulement les droits relatifs aux écoles confessionnelles qui existaient quand une province a adhéré à la Confédération. Comme les écoles catholiques de la Saskatchewan ne jouissaient pas du droit de recevoir un financement public à l'égard d'élèves non catholiques à l'époque où la province s'est jointe au Canada en 1901, la Cour a statué que le financement ne pouvait être rattaché à l'« aspect confessionnel » des écoles catholiques qui entre dans la portée du paragraphe 93(1)8.
La Cour du Banc de la Reine s'est alors penchée sur le paragraphe 93(3), qui permet aux provinces de légiférer à l'égard des écoles séparées après leur adhésion à la Confédération. Elle a jugé que, pour bénéficier de la protection constitutionnelle énoncée au paragraphe 93(3), la loi d'une province doit se rattacher à l'« aspect confessionnel » des écoles séparées9. Elle a conclu que l'enseignement prodigué à des élèves non catholiques ne pouvait être rattaché à cet aspect confessionnel d'une école catholique et que, en conséquence, le financement versé à l'égard d'élèves non catholiques dans des écoles catholiques dont il était question dans les dispositions édictées par la province après 1901 n'était pas protégé par le paragraphe 93(3) de la Loi constitutionnelle et pouvait donc être contesté à la lumière de la Charte.
La Cour s'est attardée ensuite aux arguments fondés sur la Charte. Dans sa brève analyse, elle a déclaré que le financement versé à l'égard d'élèves non catholiques fréquentant des écoles catholiques était contraire à la liberté de religion et aux droits à l'égalité protégés par l'alinéa 2 a ) taté ce qui suit :
- D'abord, le financement accorde un avantage injuste aux écoles catholiques en leur permettant d'enseigner les vertus de leur religion à des élèves de confession non catholique aux frais des contribuables10.
- Ensuite, le même avantage n'est pas accordé aux autres écoles religieuses, qui ne reçoivent pas de financement public équivalent à l'égard des élèves appartenant à d'autres confessions11.
- Enfin, le financement accorde un avantage aux parents d'élèves non catholiques qui sont « à l'aise » avec le fait que leurs enfants reçoivent une éducation catholique, mais non aux parents qui ne le sont pas12.
Le recours, la dérogation et les conséquences
Après avoir déterminé que le financement versé à l'égard d'élèves n'appartenant pas à une minorité confessionnelle contrevenait à la Charte et ne pouvait se justifier, la Cour a déclaré que les dispositions de la loi provinciale accordant un financement aux écoles séparées au titre d'élèves n'appartenant pas à une minorité confessionnelle n'avaient aucune force exécutoire13. Bien que la Cour ait suspendu l'application de sa déclaration jusqu'au 30 juin 201814, le gouvernement de la Saskatchewan, comme nous l'avons précisé plus haut, a annoncé le 1er mai 2017 qu'il invoquerait la clause dérogatoire pour passer outre à la décision de la Cour.
Malgré tout, le jugement dans l'affaire Good Spirit peut soulever certaines questions à propos de la capacité d'un gouvernement provincial d'assurer un financement à l'égard d'élèves non catholiques15 qui fréquentent des écoles séparées en Ontario et en Alberta. Comme l'a reconnu la Cour dans Good Spirit, le Canada [traduction] « est en voie de devenir une mosaïque complexe de traditions religieuses (et non religieuses16) », et les limites des droits confessionnels seront certainement mises à l'épreuve au fur et à mesure que cette évolution se poursuit.
Cependant, Good Spirit n'est pas une décision à laquelle doivent se plier les tribunaux de l'Ontario et de l'Alberta. Par ailleurs, l'éventualité d'une contestation semblable dans ces provinces dépendrait en partie de ce qui suit : (i) la nature des ententes de financement des écoles séparées qui ont été conclues dans le passé et celles qui sont en place à l'heure actuelle dans ces provinces, (ii) la façon dont les gouvernements ontarien et albertain pourraient tenter de justifier les ententes de financement actuelles en invoquant les objectifs importants qui sont visés (notamment l'efficience du système scolaire et l'offre d'une éducation catholique à une distance raisonnable de l'endroit où habitent les élèves), (iii) le fait que les tribunaux ontariens soient convaincus ou non par le raisonnement des tribunaux de la Saskatchewan. Dans le cas où une contestation semblable fondée sur la Charte était jugée recevable, les gouvernements de l'Alberta et de l'Ontario pourraient suivre l'exemple de la Saskatchewan et se tourner vers la clause dérogatoire, mais, pour l'heure, il est difficile de faire des prédictions, dans un sens ou dans l'autre.
1 paragr. 2017 SKWB 109 [Good Spirit].
2 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada , 1982, chap. 11 (R.-U.) [la Charte].
3 Gouvernement de la Saskatchewan, « Government Will Use Notwithstanding Clause to Protect School Choice for Parents and Students », 1er mai 2017 (en anglais).
4 Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., chap. 3, réimprimée dans L.R.C. 1985, App. II, n°5. [la Loi constitutionnelle].
5 Good Spirit, précité,paragr.1.
6 Ibid., paragr.2.
7 Ibid.,paragr.4.
8 Good Spirit, précité, paragr.188.
9 Ibid., paragr.189 et 226.
10 Ibid., paragr.397.
11 Ibid., paragr.401 et 441.
12 Ibid., paragr.442. La Cour du Banc de la Reine a déclaré également que les atteintes à la Charte ne pouvaient se justifier à la lumière de l'article premier de la Charte. Sur la foi du dossier qui lui a été présenté, la Cour n'a pu relever d'objectif suffisamment urgent pour justifier le non-respect de la Charte et a jugé par ailleurs que le financement versé à l'égard d'élèves non catholiques fréquentant des écoles séparées n'avait ni de lien rationnel avec l'objectif visé par la protection d'une éducation confessionnelle garantie aux élèves catholiques ni d'effet proportionnel à cet objectif. Se reporter aux paragr.456, 458 et 464.
13 Ibid., paragr.474 et 475.
14 Ibid., paragr.476.
15 Ou d'élèves non protestants qui fréquenteraient des écoles confessionnelles protestantes en Alberta.
16 Ibid., paragr. 464.