En octobre 2016, la Cour suprême du Canada a rendu une intéressante décision dans une affaire opposant un étudiant de l'Université Laval, Jean-François Morasse, à Gabriel Nadeau-Dubois, l'un des principaux porte-paroles étudiants du « printemps érable » et le représentant d'une coalition d'associations étudiantes appelée la CLASSE.
Bien que cette décision traite d'outrage au tribunal dans le cadre de manifestations étudiantes, les éléments qui en ressortent en matière de preuve requise pour établir l'existence d'un outrage au tribunal sont pertinents dans le contexte des rapports individuels ou collectifs de travail.
En avril 2012, au plus fort des manifestations étudiantes, alors que des lignes de piquetage sont formées sur les campus, Morasse obtient une ordonnance de la Cour supérieure interdisant, entre autres, aux étudiants d'obstruer l'accès aux cours.
Une dizaine de jours plus tard, lors d'une entrevue télévisée, Nadeau-Dubois tient des propos qui, selon Morasse, constituent une incitation à outrepasser l'ordonnance d'injonction qu'il a obtenue. Il s'adresse donc à la Cour supérieure pour que Nadeau-Dubois soit déclaré coupable d'outrage au tribunal. Le juge de première instance donne raison à Morasse. Il conclut que la connaissance par Nadeau-Dubois de l'injonction peut être inférée du fait que l'association à laquelle elle a été signifiée est membre de la CLASSE, dont Nadeau-Dubois est le porte-parole. La décision est ensuite infirmée par la Cour d'appel. L'affaire est portée devant la Cour suprême du Canada.
Dans une décision partagée, la majorité du plus haut tribunal du pays conclut que Nadeau-Dubois ne peut être reconnu coupable d'outrage au tribunal puisqu'il n'a pas été prouvé qu'il avait connaissance de l'ordonnance d'injonction, directement ou par inférence.
La Cour rappelle que l'outrage au tribunal est la seule procédure civile au Québec pouvant donner lieu à un emprisonnement. Il s'agit d'une mesure d'exception. Pour qu'une déclaration de culpabilité soit prononcée, les formalités se rattachant à la procédure d'outrage doivent avoir été strictement respectées. C'est-à-dire, qu'un avis clair, précis, et sans ambiguïté de l'infraction dont il est inculpé doit être donné à l'accusé, et les éléments nécessaires à la déclaration de culpabilité doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable.
En l'espèce, l'ordonnance n'avait pas été signifiée personnellement à Nadeau-Dubois. Selon la Cour, le fait que celle-ci ait été signifiée à l'une des associations membre de la CLASSE n'était pas suffisant pour inférer que Nadeau-Dubois en avait personnellement connaissance. Le fait que d'autres ordonnances avaient été prononcées ne prouvait pas non plus que Nadeau-Dubois avait connaissance de l'ordonnance obtenue par Morasse. La connaissance ne peut être imputée à Nadeau-Dubois sur le fondement des commentaires qu'il a formulés durant l'entrevue, de la question qui lui a été posée ou des déclarations faites par l'autre porte-parole étudiant interviewé en même temps que lui.
De plus, la majorité conclut que l'appui de Nadeau-Dubois au piquetage par les étudiants en général n'équivalait pas à une incitation à employer des piquets de grève pour bloquer l'accès aux cours, puisque l'ordonnance d'injonction n'interdisait pas complètement le piquetage.
Selon les trois juges dissidents, la connaissance personnelle réelle de l'ordonnance d'un tribunal, exigée par la jurisprudence, peut toujours être inférée d'une preuve circonstancielle. Ils auraient maintenu la déclaration de culpabilité de Nadeau-Dubois, affirmant que celui-ci était au courant d'ordonnances similaires et que ses paroles constituaient une incitation à contrevenir à l'ordonnance en question ainsi qu'aux autres ordonnances visant à assurer l'accès des étudiants à leurs cours.
Au Québec, un employeur peut avoir besoin de recourir à la procédure d'outrage au tribunal afin de faire respecter une ordonnance ou une injonction judiciaire qu'il a obtenue. Il peut s'agir, par exemple, d'une ordonnance exigeant d'un ancien employé qu'il se conforme à une clause de non-concurrence qui n'est pas respectée ou encore exigeant de certains employés syndiqués qu'ils cessent de faire du piquetage illégal.
Ainsi, il est particulièrement intéressant de souligner le degré de preuve que requiert la Cour suprême quant à la démonstration de connaissance, directe ou par inférence, de l'ordonnance.
La décision rendue porte à croire qu'une injonction interdisant le piquetage en matière de grève en milieu syndiqué doit non seulement être signifiée et portée à la connaissance des officiers syndicaux, mais également à chacune des personnes susceptibles d'être concernées en cas du non-respect de l'ordonnance. De plus, l'ordonnance elle-même doit être très claire de manière à ce que la ou les personnes visées sachent à quoi s'en tenir.
Concrètement, en matière de rapports collectifs, ceci implique qu'il serait préférable de signifier copie de l'ordonnance par huissier de justice, individuellement, à chaque salarié sur la ligne de piquetage ou à la maison. Outre les coûts, les conséquences sur le plan des relations de travail seront à évaluer dans chaque cas.
Comme l'affirme la Cour suprême, il s'agit d'une procédure exceptionnelle et la preuve de la connaissance de l'ordonnance doit être clairement démontrée. Rappelons que le caractère exceptionnel de cette procédure tient au fait qu'elle peut entraîner, même dans une matière civile (non criminelle), un emprisonnement pour la personne condamnée.