Jules est au service d'un employeur depuis cinq mois à titre de journalier lorsque le 3 janvier 2017, il se blesse dans le cadre de son travail. La lésion professionnelle est acceptée par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST »). L'employeur décide d'assigner temporairement Jules à des tâches administratives qui ne nécessitent aucun effort physique. Jules, voulant se faire un coup d'argent rapide, décide de voler un objet de valeur appartenant à l'entreprise. L'employeur est mis au fait de la situation et se pose alors trois questions fort importantes :
- Est-ce que l'employeur peut congédier Jules dans les circonstances?
- Quel est l'impact de ce congédiement sur le coût de la lésion professionnelle?
- Si le congédiement est permis, que faire pour protéger l'employeur contre une hausse de sa cotisation?
Concernant la première question, il est important de noter qu'un employeur conserve toujours son droit de gérance, malgré le fait qu'un salarié bénéficie du régime d'indemnisation de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après « LATMP »), et qu'il peut imposer la mesure disciplinaire appropriée. Les seules restrictions qui s'appliquent sont celles qui découlent des articles 32 de la LATMP et 122 et/ou 124 de la Loi sur les normes du travail.
À titre d'exemple, un employeur ne peut congédier un salarié parce qu'il a été victime d'un accident du travail ou qu'il a exercé un droit prévu à la LATMP. D'ailleurs, lorsqu'une mesure disciplinaire est imposée dans les six mois suivant la date où l'employé a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la LATMP, l'employeur, en vertu de cette même loi, est présumé avoir imposé la mesure disciplinaire parce que le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle ou en raison de l'exercice de son droit. Ainsi, dans le cadre d'un recours déposé en vertu de la LATMP, l'employeur aura donc le fardeau de démontrer que le congédiement a été fait pour une autre cause juste et suffisante.
Ceci étant, l'employeur décide de congédier Jules. Dès lors, plusieurs conséquences découlent de cette décision sur le plan de la gestion de la lésion professionnelle. En effet, ne pouvant plus être assigné temporairement, Jules aura alors droit à la reprise du versement de l'indemnité de remplacement du revenu. Au surplus, advenant que Jules conserve des limitations fonctionnelles l'empêchant de reprendre son emploi, l'employeur ne pourra évidemment pas lui offrir un emploi convenable au sein de l'entreprise. À l'opposé, s'il n'en conserve pas, Jules pourrait avoir droit à une année pleinement compensée de recherche d'emploi si le droit de retour au travail est expiré. Bref, les coûts de la lésion professionnelle au dossier de l'employeur peuvent exploser et, selon le régime de cotisation auquel est soumis l'employeur, entraîner une augmentation du montant de cotisations qui sera perçu par la CNESST.
Pour tenter de remédier à cette situation, il est important que l'employeur dépose immédiatement une demande de transfert de coûts en vertu de l'article 326 de la LATMP puisque la reprise des indemnités n'est pas en lien avec la lésion professionnelle, mais bien à des circonstances extrinsèques à la lésion professionnelle.
Dans Branchaud Signature Inc. et CNESST-Outaouais (2016 QCTAT 3829), le juge administratif Danis, dans des circonstances similaires au cas de Jules, a déclaré qu'il serait injuste pour un employeur de prendre en charge les coûts découlant d'un congédiement lorsque :
- celui-ci est fondé sur une cause juste et suffisante;
- il ne découle pas de la simple discrétion et/ou volonté de l'employeur;
- il est conforme aux règles générales de droit du travail; et
- il est conforme aux politiques de l'employeur, lorsqu'applicable.
Le juge administratif reconnaît au surplus qu'il ne peut être « imposé à un employeur de garder à son emploi une personne qui commet des actes inacceptables simplement pour pouvoir l'assigner ou le maintenir temporairement à des tâches plus légères. » L'employeur a donc eu droit à un transfert des coûts liés à l'indemnité à partir de la date du congédiement.
Toutefois, dans WEC Tours Québec inc. et CNESST (2016 QCTAT 2686, pourvoi en contrôle judiciaire déposé : 100-17-001754-169), le juge administratif Lemire a refusé un transfert de coûts à un employeur qui a congédié un employé pour retards et manque d'assiduité. Fait important : le congédiement n'avait aucunement été contesté par l'employé. Dans cette décision, le Tribunal retient que l'employeur pouvait demander une suspension des indemnités en vertu de l'article 142 de la LATMP au lieu de congédier l'employé. Au surplus, le juge administratif est d'avis que le congédiement, qu'il soit justifié ou non, ne découle pas de circonstances qui sont indépendantes de la volonté de l'employeur, puisque l'employeur prend en toute connaissance de cause la décision de congédier l'employé. Le transfert a donc été refusé. Cette décision fait présentement l'objet d'un contrôle judiciaire, mais il est important de comprendre que le transfert de coûts pourrait être refusé et que l'employeur assumera alors tous les coûts liés au versement de l'indemnité. D'ailleurs, un raisonnement analogue a aussi été appliqué dans un contexte de retraite d'un employé dans la décision Entreprises Michaudville Inc. et CNESST (2016 QCTAT 5128).
Finalement, il est à noter que selon les circonstances du congédiement, il sera important de demander à la CNESST de suspendre les indemnités de remplacement du revenu en vertu de l'article 142 de la LATMP lorsque, par exemple, le travailleur a fait de fausses déclarations quant à son état de santé et qu'il y a une preuve médicale qui confirme qu'il serait apte au travail. Ceci permettra à l'employeur de couvrir tous les angles possibles pour tenter de réduire les coûts imputés à son dossier.