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Perspectives

Ce que signifie pour les employeurs le rapport final du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis

Le 13 décembre 2016, le Groupe de travail sur la législation et la réglementation du cannabis a publié son rapport intitulé Un cadre pour la légalisation et la réglementation du cannabis au Canada (le « rapport »). Bien que le débat sur la légalisation de la marijuana, ou cannabis, figure en bonne place dans la politique canadienne depuis les élections de 2015, les incidences de cette légalisation et de sa réglementation connexe pour les employeurs et les milieux de travail partout au pays demeurent nébuleuses1.

Le rapport met en lumière une série de recommandations visant plusieurs mesures, à savoir :

  • Minimiser les dangers de la consommation
  • Établir une chaîne d'approvisionnement sécuritaire et responsable
  • Assurer la sécurité et la protection du public
  • Garantir un accès à des fins médicales

Pour chaque mesure précitée, le rapport présente environ quatre-vingts (80) recommandations, dont certaines portent sur une limite d'âge à l'interdiction de consommation, les exigences relatives à l'étiquetage, les limites de la densité et de l'emplacement des centres de distribution, les infractions pénales pour l'exportation de marijuana et le maintien d'un cadre distinct pour l'accès à des fins médicales. Au vu de la diversité des recommandations, l'adoption et la mise en œuvre des lois, réglementation et autres mesures connexes pourraient s'étirer jusqu'en 2018, voire 2019.

Consommation à des fins récréatives

Que doivent en conclure les employeurs? Compte tenu de la prolongation du délai prévu pour la mise en œuvre de la législation, ceux-ci doivent d'abord prendre conscience du fait que les changements ne se feront pas du jour au lendemain. Ils devraient également savoir que, tout comme pour la consommation d'alcool, la légalisation de la consommation de la marijuana à des fins récréatives ne donnera pas aux employés le droit de fumer librement de la marijuana au travail. Les employeurs demeureraient habilités à imposer des mesures disciplinaires aux employés dont la consommation à des fins récréatives nuirait à leur rendement. De façon semblable, les restrictions concernant l'usage du tabac au travail s'appliqueraient de la même manière à la consommation de marijuana.

Les employeurs devront réviser et modifier leurs politiques et procédures existantes relatives au milieu de travail pour tenir compte de la nouvelle réalité juridique que l'entrée en vigueur de la législation créera. En raison de cette nouvelle donne juridique, il faudra peut-être aussi opérer un virage social et abandonner les points de vue traditionnels sur la consommation de la marijuana à des fins récréatives. Supprimer dans les politiques toute référence explicite à la consommation de marijuana en tant qu'activité illicite après le travail lorsqu'elle est consommée de façon légale constituera l'un des principaux changements. Même si la consommation de marijuana en dehors du travail ne sera plus illégale, les employeurs peuvent quand même fixer des paramètres pour encadrer la consommation à des fins récréatives et préciser la façon dont ces paramètres s'appliquent aux employés au travail.

La nouvelle donne juridique pourra aussi obliger les employeurs à examiner, et peut-être réviser, leurs politiques en matière de dépistage de drogues. On peut généralement classer les tests de dépistage de drogues dans trois grandes catégories : tests préalables à l'embauche, tests après-incident et tests pour motif valable. Dans ce domaine, la décision que la Cour suprême du Canada a rendue en 2013 dans l'arrêt Pâtes & Papier Irving, Ltée fait toujours autorité pour ce qui est d'établir un juste équilibre entre les intérêts des employeurs sur le plan de la sécurité et les droits d'un employé au chapitre de la protection de la vie privée. Dans cet arrêt, la Cour suprême confirme la décision prise par un arbitre d'autoriser un grief contestant un programme de tests aléatoires obligatoires de dépistage d'alcool, mis unilatéralement en place par l'employeur dans une usine de pâtes et papiers. La décision a permis d'établir un critère général pour l'application de ces tests aléatoires : ceux-ci seront étroitement circonscrits aux situations présentant des indices de l'existence (i) d'un milieu de travail dangereux et (ii) d'un risque accru pour la sécurité (p. ex., un problème généralisé d'alcoolisme ou de toxicomanie). Bien qu'il fournisse un cadre utile pour les employeurs, l'arrêt Irving n'énonce pas les paramètres qui permettraient de savoir ce qui constitue un « problème » au travail. Dans les années qui ont suivi la décision Irving, les juges et les arbitres ont tenté d'en appliquer les principes à d'autres scénarios, dont celui du dépistage préalable à l'embauche. Il en est ressorti un éventail de décisions qui reposent, pour les unes, sur la question de savoir si les politiques de dépistage d'alcoolisme et de toxicomanie sont applicables et, pour les autres, sur celle de savoir quels éléments de preuve les employeurs doivent présenter pour les justifier.

Pour s'y retrouver un tant soit peu, la nouvelle mouture de la Politique sur le dépistage des drogues et de l'alcool 2016 publiée par la Commission ontarienne des droits de la personne offre des directives utiles sur la façon d'élaborer des politiques et des programmes de dépistage qui respectent les droits de la personne tout en assurant la sécurité en milieu de travail. Bien que ce document n'ait pas force de loi en Ontario ni ailleurs au pays, les arbitres de griefs relatifs aux droits de la personne et les tribunaux provinciaux tiennent assurément compte de son application.

Utilisation à des fins médicales et incapacité

Les employeurs doivent également être conscients du fait que, malgré l'interdiction frappant la consommation de marijuana à des fins récréatives, un médecin autorisé est actuellement parfaitement en droit de prescrire la consommation de marijuana pour traiter une maladie ou un état sous-jacent à celle-ci. La consommation au travail devrait être traitée conformément aux politiques et procédures en place relatives à la consommation au travail d'autres médicaments délivrés sur ordonnance. Les employés devront cependant fournir des documents délivrés par un médecin autorisé pour justifier leur consommation de marijuana médicinale.

Conformément à la législation fédérale et provinciale canadienne en matière de droits de la personne, les employeurs sont généralement tenus d'accommoder les employés atteints d'une incapacité, à condition que les accommodements en cause n'imposent pas de contraintes excessives. Même si l'évaluation du handicap dépendra toujours des faits, les employés atteints d'une incapacité physique ou mentale, notamment une dépendance à l'alcool ou aux drogues, feront vraisemblablement partie de cette catégorie. L'éventail des mesures d'accommodement sera tributaire d'un certain nombre de facteurs, dont la capacité financière de l'employeur, le type de travail exécuté par l'employé et l'impact de sa consommation de marijuana sur ses tâches essentielles.

Il faut trouver un juste équilibre entre les mesures d'accommodement offertes à l'employé dans ces circonstances et l'obligation générale qui incombe à l'employeur, en vertu de la législation fédérale et provinciale en matière de santé et de sécurité au travail, d'assurer la sécurité en milieu de travail. Par exemple, l'article 25 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Ontario exige que les employeurs prennent « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur ». Les postes critiques sur le plan de la sécurité, comme ceux où l'utilisation de machinerie lourde entre en ligne de compte, pourraient être assortis d'exigences ou de devoirs essentiels qui suscitent des préoccupations en matière de sécurité lorsqu'un plan d'accommodement proposé comporte la consommation de marijuana.

Dans ces cas précis, l'employeur pourra devoir autoriser un employé à prendre congé pour entreprendre un traitement à base de marijuana ou le réaffecter à d'autres tâches où la sécurité n'est pas critique. On peut penser qu'une fois la maladie guérie ou l'état sous-jacent traité, cet employé demandera à réintégrer son poste. Une prestation d'invalidité de longue durée pourra aussi être nécessaire, dans la mesure où l'employeur en fournit une, lorsque l'employé ne peut reprendre son travail en toute sécurité.

Planification et prochaines étapes

D'ici à ce que le gouvernement fédéral adopte une loi pour légaliser la marijuana et en réglementer la production et la consommation, les restrictions actuelles de nature pénale continueront de s'appliquer. Toutefois, un minimum de préparation peut grandement contribuer à prévenir les perturbations au travail. Dans l'intervalle, les employeurs avisés réexamineront leurs politiques et procédures actuelles afin d'être prêts à les modifier au besoin le moment venu.


1 Les auteurs du rapport indiquent que le terme « marijuana » est un terme courant utilisé le plus souvent en référence aux fleurs et aux feuilles séchées du plant de cannabis. Bien qu'il s'agisse d'un terme familier qui n'est pas scientifiquement lié à la plante Cannabis sativa, nous l'avons sciemment adopté dans le présent article au lieu du nom plus scientifique de « cannabis ».

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