Le 7 décembre dernier, le Tribunal administratif du travail a rendu une importante décision concernant le droit des cadres québécois à la syndicalisation.
En effet, par le truchement deux décisions sœurs dans les affaires impliquant, d'une part, l'Association professionnelle des cadres de premier niveau d'Hydro-Québec (« APCPNHQ ») et Hydro-Québec et, d'autre part, l'Association des cadres de la Société des casinos du Québec (« ACSCQ ») et la Société des casinos du Québec1, le Tribunal a jugé opportun de déclarer que l'article 1l)1 du Code du travail portait atteinte à la liberté d'association protégée par les Chartes et que, partant, il devait être jugé inopérant aux fins des requêtes en accréditation déposées par l'APCPNHQ et l'ACSCQ.
En d'autres mots, le Tribunal a déterminé que, à tout le moins dans le cadre des demandes visant Hydro-Québec et la Société des casinos du Québec, les cadres québécois devaient être considérés comme des salariés au sens du Code du travail.
Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal s'est largement inspiré des principes établis par la Cour suprême du Canada dans les affaires Health Services2 et, surtout, Association de la police montée de l'Ontario (« APMO »)3 et elle a essentiellement considéré que :
- Le fait d'exclure les cadres de la définition de « salarié » viole le droit de ces derniers de s'associer et de négocier collectivement leurs conditions de travail;
- Cette violation n'est pas justifiée dans une société libre et démocratique.
Curieusement, du point de vue de l'équipe du droit du travail et de l'emploi de BLG, la décision du Tribunal n'est que partiellement une surprise.
En effet, compte tenu du virage amorcé par la Cour suprême en 2007 (avec l'arrêt Health Services) et intensifié en 2015 (avec la trilogie comprenant l'arrêt APMO), nous pouvions nous attendre à ce qu'un tribunal réaffirme un jour le droit des cadres (à tout le moins le droit des cadres dits « de premier niveau ») à négocier collectivement leurs conditions de travail avec leur employeur.
Ce qui était davantage inattendu, c'est la forme qu'a pris la réaffirmation de ce droit, à savoir l'émission d'une déclaration d'inopérabilité portant sur l'article 1l)1 du Code du travail.
Il faut en effet comprendre qu'il existe une distinction fondamentale entre le fait d'avoir le droit de négocier collectivement ses conditions de travail et celui d'avoir accès à un régime précis de relations de travail; en d'autres mots, ce n'est pas parce qu'un salarié a le droit de négocier ses conditions de travail avec ses collègues qu'il a nécessairement le droit d'être accrédité en vertu du régime mis sur pied par le Code du travail.
Dans le cadre de sa décision, le Tribunal a étudié cette distinction, mais, avec égard, il semble avoir considéré qu'il n'avait pas à procéder à un examen approfondi des enjeux sous-jacents puisque, selon sa compréhension de ses propres pouvoirs, son rôle se limitait à juger de la constitutionnalité de l'article 1l)1 aux fins de deux (2) demandes précises (plutôt qu'aux fins de l'ensemble de la population québécoise)... Cela a permis au Tribunal de ne pas avoir à explicitement considérer l'ensemble des problèmes majeurs occasionnés par l'inclusion systématique des cadres dans un régime de rapports collectifs de type Wagner, tel qu'articulé par le Code du travail. À cet égard, on peut penser aux conflits potentiels entre une nouvelle unité « cadre » et la portée des unités préexistantes, lesquelles couvrent déjà souvent « tous les salariés au sens du Code ». On peut également penser aux problèmes reliés à la présence de « représentants de l'employeur » au sein des unités, notamment en ce qui concerne les pratiques interdites. Il ne faut par ailleurs pas oublier les impacts de l'inclusion des cadres à la notion de « salariés » sur les dispositions anti-briseurs de grève.
En fait, le Tribunal invite quasi-explicitement la Cour supérieure à réexaminer le dossier afin d'établir, pour la première fois, les conséquences réelles de la nouvelle approche de la Cour suprême sur l'ensemble des cadres québécois (par opposition aux conséquences sur deux (2) demandes très précises prises isolément).
Il reviendra donc indiscutablement aux tribunaux supérieurs d'étudier si l'approche très ciblée du Tribunal était la bonne et, surtout, de réétudier, dans un contexte plus large, la validité de la solution proposée par le Tribunal administratif du travail.
Cela dit, la décision du Tribunal constitue indiscutablement un immense pavé lancé dans la marre des relations du travail au Québec et, dans un sens ou dans un autre, ses répercussions se feront assurément sentir dans toutes les entreprises de la Province au fil des prochaines années.
1 Association des cadres de la Société des Casinos du Québec et Société des casinos du Québec inc. / Association professionnelle des cadres de premier niveau d'Hydro-Québec et Hydro-Québec, CM-2009-5820 et CM-2014-7415
2 [2007] 2 RCS 391
3 [2015] 1 RCS 3