La Commission ontarienne des droits de la personne a élargi la définition de « croyance » afin de refléter autant que possible la modernité de la palette des croyances en Ontario.
Dans une nouvelle politique publiée en décembre 2015 (la « politique »), la Commission ontarienne des droits de la personne a élargi la définition de « croyance » afin de refléter autant que possible la modernité de la palette des croyances en Ontario. Mais jusqu'où cela va-t-il? L'adepte du végétalisme pourrait, par exemple, considérer que son régime alimentaire constitue une partie centrale de son identité. La nouvelle politique protégerait-elle cette croyance? Et le végétalisme comme croyance religieuse, par exemple, est-il digne de la protection des droits de la personne?
L'argument voulant que la protection des droits de la personne doive s'étendre au végétalisme, entre autres convictions, est soutenu par des statistiques qui indiquent que la société d'aujourd'hui devient moins religieuse et se laïcise davantage et que les gens ont tendance à puiser à diverses sources pour bâtir leurs convictions. En 2011, plus de 7,8 millions de Canadiens (compte tenu des agnostiques, des athées et des humanistes) ont dit n'avoir aucune affiliation religieuse, alors qu'environ 65 000 se disaient spiritualistes traditionnels ou autochtones, 330 000, juifs, 367 000, bouddhistes, 500 000, hindous, 1 million, musulmans et 22,1 millions, chrétiens1.
Le Code des droits de la personne de l'Ontario (le« Code ») a certes toujours protégé la croyance dans les domaines de l'emploi, du logement, des contrats, des services et des associations professionnelles, mais il n'a jamais offert de définition du terme. Dans le passé, le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a toujours vu dans le mot « croyance » un synonyme de religion. D'ailleurs, la politique antérieure de la Commission à ce sujet — en place depuis 1996 — s'intitulait « Politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses ».
Depuis, la Commission a fourni des orientations élargies au Tribunal ainsi qu'aux employeurs et autres acteurs liés par les obligations du Code. La Commission explique que le fait que l'Ontario ait choisi le terme « croyance » pour ses mesures législatives touchant les droits de la personne — par opposition aux expressions « religion », « convictions religieuses » ou « croyance religieuse », utilisées par d'autres compétences dans leurs lois relatives aux droits de la personne — laisse entendre que « la croyance pourrait avoir un sens distinct de celui de ces autres termes »2.
La Commission fournit le cadre suivant pour déterminer si une croyance protégée par le Code a été établie3 :
« Compte tenu de la nature évolutive des systèmes de convictions au fil du temps et de la nécessité de donner une interprétation libérale et téléologique aux protections consenties à la croyance aux termes du Code, la présente politique n'offre pas de définition universelle et définitive de la croyance. Cependant, les caractéristiques suivantes sont pertinentes lorsqu'il s'agit de déterminer si un système de convictions constitue une croyance aux termes du Code. Une croyance :
- est sincère, profonde et adoptée de façon volontaire
- est intégralement liée à la façon dont la personne se définit et s'épanouit sur le plan spirituel
- constitue un système particulier de convictions qui est à la fois exhaustif et fondamental, et régit la conduite et les pratiques de la personne
- aborde les questions ultimes de l'existence humaine, dont les idées sur la vie, son sens, la mort et l'existence ou non d'un Créateur et(ou) d'un ordre d'existence supérieur ou différent
- a un lien quelconque avec une organisation ou une communauté professant un système commun de convictions, ou une connexion à une telle communauté. »
Dans le sommaire de sa politique en ligne4, la Commission offre également les orientations suivantes :
« Étant donné l'éventail des systèmes de convictions dont le lien à la croyance a été reconnu dans le contexte du Code, de la croyance raélienne aux « pratiques de développement spirituel » du Falun Gong, les organisations devraient généralement accepter de bonne foi qu'une personne adhère à une croyance, à moins d'avoir des motifs considérables de croire le contraire compte tenu des facteurs susmentionnés. »
De plus, lorsqu'il s'agit de déterminer si une croyance existe, l'évaluation de la qualité, du caractère raisonnable ou du fondement scientifique du système de convictions n'est généralement pas pertinente.
Bien que la politique définisse plus largement le terme « croyance », elle confirme qu'il comporte des limites. À ce jour, l'Ontario ne protège pas les convictions politiques (bien qu'il soit possible qu'un système de convictions philosophiques ou politiques exhaustif puisse équivaloir à une croyance, ou puisse rejoindre la notion de croyance). Seules les croyances sont protégées, non pas les préférences individuelles de style ou d'ordre pratique. Les protections des droits de la personne fondées sur la croyance ne s'étendent pas aux pratiques et observances qui sont haineuses, qui incitent à la haine ou à la violence contre d'autres personnes ou groupes, ou qui contreviennent au droit criminel. Le droit d'exprimer ses convictions rattachées à une croyance peut également être limité s'il nuit à d'autres droits protégés par le Code ou par la Charte des droits et libertés.
Les employeurs auront l'obligation de trouver des mesures d'adaptation pour ceux et celles qui revendiquent l'application de restrictions fondées sur la croyance. Comme toujours, l'obligation qui incombe à l'employeur de tenir compte de la croyance d'une personne s'applique uniquement tant que cela n'occasionne pas de contrainte excessive, et il incombe également à la personne de participer activement au processus d'accommodement.
Exemples
Les employeurs ont l'obligation d'accommoder les personnes qui portent des vêtements religieux, celles qui ont des jours de repos différents et celles qui ont d'autres restrictions ou obligations fondées sur la religion. De même, il leur est interdit de faire de la discrimination indirecte en appliquant des règles qui semblent neutres mais qui ont des effets discriminatoires, comme d'exiger d'un rastafarien qu'il se rase ou porte les cheveux courts pour se conformer au code vestimentaire de l'entreprise. Le Code assure également une protection contre la discrimination systémique; dans les faits, les « retrouvailles » qu'une entreprise organise régulièrement dans un bar, autour d'un verre, considérées comme des occasions de réseautage et de mentorat importantes, ont pour effet d'exclure les personnes qui ne boivent pas d'alcool pour des raisons liées à leur croyance. Le fait de ne pas proposer d'autres activités plus inclusives pourrait être discriminatoire.
Désormais, ces protections pourraient s'étendre à une croyance non religieuse comme le végétalisme. On retrouve dans la politique l'exemple d'accommodement suivant à l'égard d'une personne dont la croyance est fondée sur des restrictions alimentaires5 :
« Une personne hospitalisée dans un centre de santé mentale a besoin de choix de repas végétariens en raison de sa croyance. On ne lui permet pas de quitter les lieux pour trouver de la nourriture appropriée, et elle n'est pas en mesure de préparer sa propre nourriture. L'établissement a l'obligation de procéder à l'accommodement des besoins sur le plan alimentaire de la personne jusqu'au point de préjudice injustifié en lui offrant des aliments appropriés pour lui permettre de demeurer dans l'établissement. »
Toutefois, la politique impose également des limites à cette obligation. Elle énonce, par exemple, qu'« [u]n restaurant spécialisé dans les grillades qui sert uniquement des produits animaliers et n'offre pas de mesures d'adaptation aux clients végétariens ne fait pas de discrimination... Cependant, un restaurant qui offre déjà des choix alimentaires végétariens peut être tenu... [d'utiliser des] ustensiles propres, qui ne contiennent aucune trace de viande, [pour préparer le repas d'un client végétarien], à moins de pouvoir démontrer que cela entraîne une contrainte excessive6 ».
D'autres demandes d'accommodement possibles pourraient viser les fins suivantes : trouver un uniforme dépourvu de cuir, octroyer une dispense de présence à une leçon de dissection animale ou ne pas tenir de réunions importantes pour l'entreprise dans des restaurants qui ne servent que des produits carnés.
Il existe certains précédents à la nouvelle politique de l'Ontario. En 2002, un détenu sous responsabilité fédérale a obtenu le droit d'avoir des repas végétariens en prison, sur le fondement de ses convictions morales non religieuses dictées par la conscience – bien que ce droit découle d'une contestation aux termes de la Charte et du libellé des mesures législatives qui régissent les services correctionnels7. En Ontario, toutefois, la question n'avait jamais été tranchée. En 2012, une étudiante de l'Université Ryerson s'est plainte d'avoir été victime de discrimination du fait qu'elle avait traité de questions liées aux droits des animaux dans ses travaux universitaires et a fait valoir que son végétalisme éthique équivalait à une croyance. Sa plainte a été rejetée, mais pour d'autres motifs, et le Tribunal ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si ses droits quant à sa croyance avaient été bafoués8. De même, le Tribunal a choisi de ne pas trancher la question de savoir si le végétalisme pouvait être une croyance lorsqu'il a rejeté une plainte contre une coopérative d'habitation au motif qu'elle n'avait pas de chance raisonnable de succès9.
Bien que la nouvelle politique de la Commission n'ait pas force de loi, on considère qu'elle fait autorité dans de nombreuses causes portées devant le Tribunal des droits de la personne. Les employeurs devraient être conscients de cette approche modernisée de la signification du mot « croyance » dans la loi ontarienne sur les droits de la personne, et prendre les mesures pour s'assurer que leurs politiques et leurs pratiques soit conformes à celle-ci.
1 Enquête nationale auprès des ménages de 2011 : www.statcan.gc.ca.
2 Politique, p. 22.
3 Politique, pp. 22 et 23.
5 Politique, p. 119.
6 Politique, p. 101.
7 Maurice c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 69.
8 Ketenci v. Ryerson University, 2012 HRTO 994.
9 T.A. v. Grace MacInnis Cooperative Inc., 2012 HRTO 1123