Il y a plusieurs façons d'envisager ce qu'une lettre de mesure disciplinaire ou une lettre de congédiement devrait contenir. Certains privilégient la démarche « minimaliste » : s'en tenir brièvement aux faits, à la nature de l'infraction (par exemple, stipulations de la convention collective ou règles/règlements/politiques applicables) et à la peine qui est imposée. D'autres préfèrent couvrir tous les angles et donner le plus de détails possible quant aux faits, aux résultats de l'enquête et à la conclusion. D'autres enfin (eh oui, en droit du travail, il y a toujours une troisième voie possible) adoptent une solution hybride qui consiste à fournir assez de détails pour ne pas prêter le flanc à la critique parce qu'on aurait omis de justifier suffisamment les motifs de la mesure disciplinaire ou du congédiement, mais à éviter de se retrouver dans une situation où l'on ne peut prouver tous les points soulevés dans la communication, ce qui est le risque inhérent à cette stratégie. Il est entendu qu'on doit prendre la décision en fonction de chaque cas particulier et qu'on doit respecter la convention collective; ceci dit, je suis plutôt en faveur de la démarche hybride.
Ce qui importe le plus, cependant, c'est de bien faire les choses. Et la raison en est très simple : chaque sanction disciplinaire imposée peut être remise en question par le dépôt d'un grief et tout grief peut mener à l'arbitrage. Étant donné que l'employeur doit démontrer qu'il avait un motif valable d'imposer une sanction disciplinaire, le contenu de la communication disciplinaire, qui donne les balises du processus, doit être exact pour que l'employeur ait gain de cause.
Une décision arbitrale qui vient d'être rendue et qui concerne une société de gestion des déchets est un bon exemple d'une lettre de congédiement bien rédigée et réfléchie qui a mené au succès de l'employeur en arbitrage.
En l'espèce, l'employeur était responsable de la manutention sécuritaire et adéquate de déchets médicaux et dangereux qui comprenaient notamment des produits pharmaceutiques. Il exerçait ses activités aux termes d'un certificat d'approbation délivré par le gouvernement de l'Ontario qui exigeait, entre autres choses, la formation continue des employés.
L'employeur exploitait deux usines situées à proximité l'une de l'autre. Les déchets dangereux étaient traités ou détruits à l'« usine A », laquelle fonctionnait 24 heures par jour / 7 jours par semaine. Les déchets non dangereux (dits de « spécialité ») étaient traités à l'« usine B », qui fonctionnait selon un horaire plus limité et hébergeait les locaux administratifs de l'employeur ainsi que la cour des camions, laquelle était une grande surface sécurisée et clôturée.
L'employeur ramassait des déchets à divers endroits en Ontario. À la fin de leur quart de travail, les chauffeurs « déposaient » les remorques qui contenaient les déchets dans la cour des camions. Puis, ces remorques étaient transportées de l'usine B à l'usine A pour le traitement de leur contenu. Par la suite, les remorques vidées étaient transférées de nouveau à l'usine B pour être chargées sur un camion par les conducteurs du quart de travail suivant.
Or un soir, vers 22 h, un superviseur de l'usine de traitement (usine A) s'est rendu vérifier une alarme qui avait été déclenchée dans les bureaux administratifs. Dans le cours de sa vérification, il a croisé un employé de l'usine A dans la cour de camions. Cet employé se trouvait derrière une remorque ouverte, à côté de seaux de déchets pharmaceutiques. Le superviseur a confronté l'employé, car il était inhabituel qu'un employé qui devait être en poste à l'usine A se trouve dans la cour de camions, tout à côté des seaux de déchets.
L'employeur a ouvert une enquête au sujet de l'incident. L'enregistrement de surveillance vidéo signalait que deux autres employés de l'usine A se trouvaient à l'usine B avec l'employé en cause. Cependant, l'un des employés avait essayé de se cacher du superviseur pendant que l'autre avait quitté la scène dès l'arrivée de celui-ci, de sorte que le superviseur ne les avait pas vus lors de la soirée en question. Dans le cadre de l'enquête, les trois employés ont été interviewés. Ils ont tous donné des explications beaucoup trop semblables de leur présence à l'usine B.
L'employeur a cru qu'il avait un motif raisonnable de mettre fin à l'emploi des trois employés et leur a remis des lettres de congédiement analogues mais non identiques. Dans chaque lettre, l'employeur faisait remarquer à l'employé qu'il était ailleurs qu'à son poste de travail et qu'il avait en sa possession des contenants de déchets pharmaceutiques, sans que le superviseur le sache et sans qu'il les ait autorisés à agir ainsi. Dans la lettre, l'employeur décrivait ensuite le comportement précis de chaque employé. Dans un cas, l'employé avait dissimulé au superviseur l'objet de ses actes lorsque son supérieur l'avait confronté; le deuxième employé s'était littéralement « caché » du superviseur; et le troisième avait tout simplement quitté les lieux. Ce qui est important, dans une affaire pareille, c'est que l'employeur n'a pas allégué ce qu'il ne pouvait démontrer, à savoir le vol de déchets ou la tentative de vol de déchets.
À l'arbitrage, on a confirmé les congédiements. Dans son argumentation finale, le syndicat a soutenu que l'employeur avait omis de démontrer ce qu'il [ traduction ] « voulait vraiment prouver », à savoir la tentative de vol de déchets. L'arbitre n'a pas accepté l'argument du syndicat mais a déclaré que l'employeur avait démontré le bien-fondé de tous les motifs énumérés dans les lettres de congédiement. Il a conclu que les congédiements reposaient sur des faits réels et non sur des conjectures ou des hypothèses.
Cette affaire démontre qu'il est essentiel de bien rédiger une lettre de mesures disciplinaires ou de congédiement. Si l'employeur avait présenté une lettre « toute faite d'avance » ou s'était fondé sur des allégations générales non fondées, les résultats de l'arbitrage auraient pu être très différents. Il s'agit d'un bon exemple qui démontre comment le contenu d'une communication disciplinaire doit correspondre aux résultats de l'enquête et comment une lettre réfléchie et bien rédigée est le gage d'un arbitrage réussi.