Une sentence arbitrale récemment rendue en Ontario aborde la question de l'utilisation de l'alcootest et du test de dépistage de drogue dans l'urine après un incident dans un milieu de travail où la sécurité constitue un enjeu critique. Dans Jacobs Industrial v International Brotherhood of Electrical Workers, Local 353, 2016 CanLII 198, le plaignant était un électricien qui travaillait pour Jacobs Industries, un entrepreneur en maintenance employé à une raffinerie de Suncor. Pour la direction de la raffinerie, la sécurité était d'une grande importance, surtout en raison de risques d'explosion, d'électrocution et de libération de gaz hautement toxiques. Jacobs a mis fin à l'emploi du plaignant lorsque celui-ci a refusé de se soumettre à un alcootest et à un test de dépistage de drogue dans l'urine après un incident qu'il a lui-même provoqué. L'employeur lui a dit qu'il pouvait retourner au travail s'il se soumettait aux tests en question et était déclaré apte au travail. Le syndicat a mis en question la politique de dépistage d'alcool et de drogue de Jacobs, et soulevé la question de savoir s'il était raisonnable d'exiger du plaignant qu'il se soumette à ces tests compte tenu des faits propres à l'incident.
La politique de Jacobs, qui était conforme aux politiques mêmes du propriétaire de la raffinerie, prévoyait un dépistage obligatoire après un incident si les facteurs externes étaient éliminés comme cause possible de l'incident. En tant que délégué syndical, le plaignant avait fourni aux employés une formation sur la politique et savait donc que le fait de refuser les tests entraînerait son congédiement.
Néanmoins, il a refusé de se soumettre aux tests de dépistage d'alcool et de drogue après un incident qui s'est produit dans l'aire de stationnement de la raffinerie. Il conduisait une camionnette appartenant à la raffinerie et à laquelle était attachée une remorque. Il portait son équipement de sécurité (casque et lunettes de protection, et bouchons d'oreille). Il n'a pas fait appel à un préposé au stationnement pour le guider au moment de reculer avec sa camionnette et il est entré en collision avec une automobile garée dans l'aire de stationnement. On a immédiatement mené une enquête conformément à la politique. Puis, on a dressé un rapport d'incident. Le plaignant a affirmé ne pas avoir vu l'automobile stationnée, mais il a admis être l'auteur de la collision.
La société a conclu que le plaignant avait causé l'accident et qu'elle ne pouvait écarter la possibilité que la drogue ou l'alcool y ait été pour quelque chose. À son avis, on pouvait s'étonner du fait que le plaignant ait boudé d'autres emplacements vacants avant d'essayer de se garer dans un emplacement occupé sans d'abord demander l'aide d'un préposé au stationnement. Le fait que le plaignant ait quitté les lieux immédiatement après l'accident n'a pas non plus aidé sa cause. Conformément à la politique, le plaignant a été invité sur-le-champ à subir un test de dépistage d'alcool et de drogue dans l'urine afin d'écarter la conduite avec facultés affaiblies comme cause possible de l'accident. Or, le plaignant a refusé d'obtempérer. Lors de l'arbitrage, le syndicat a fait valoir que les tests n'étaient pas raisonnables dans les circonstances et qu'ils constituaient une invasion non justifiée de la vie privée du plaignant.
L'arbitre Christopher Albertyn a examiné la jurisprudence arbitrale existante portant sur les motifs raisonnables et l'utilisation de tests de dépistage après un incident, et a appliqué le critère triple associé à l'affaire Weyerhaeuser Co. v. CEP, Local 447 (2006), 154 L.A.C. (4th) 3 (Sims), à savoir :
[traduction] [ …] le niveau-seuil d'incident requis pour justifier les tests de dépistage, le niveau d'enquête nécessaire avant que la décision ne soit rendue et le lien nécessaire entre l'incident et la situation de l'employé pour justifier les tests.
Pour ce qui touche le premier critère, la question de savoir si l'application d'un test après un incident est justifiée exige l'examen du préjudice. L'arbitre Albertyn a formulé la conclusion suivante :
[traduction]…il doit y avoir une teneur quelconque, un caractère substantiel au préjudice causé. Si l'accident était insignifiant, comme le verre que l'on renverse accidentellement, la marche de l'escalier que l'on manque, ou s'il s'agissait d'un incident qui est de toute évidence mineur…, le critère du test de dépistage obligatoire après un tel incident ne serait pas rempli. L'accident doit en soi avoir une certaine importance. [paragr. 76]
Il a de plus conclu que la norme pour ce qui est des tests après un incident signifie [traduction] «… que l'accident doit être important pour justifier un test après qu'il s'est produit, à condition que le contexte général laisse envisager la possibilité de facultés affaiblies et que, tout comme dans une situation de quasi-incident, la proximité du préjudice soit réaliste et le préjudice, potentiellement important. »
D'après les faits en l'espèce, la valeur des dommages causés au véhicule garé se situait entre 1 000 $ et 5 000 $. L'arbitre Albertyn a conclu que le préjudice n'était pas important et que l'accident était mineur. Ils ne respectaient donc pas l'exigence du niveau-seuil de dommages du premier critère selon Weyerhauser.
En l'espèce, le deuxième critère selon Weyerhauser était rempli. La société a enquêté sur la cause de l'accident et donné au plaignant suffisamment de chances de lui fournir une explication absolutoire qui, dans son cas, rendrait inutile le recours à des tests de dépistage de drogue ou d'alcool.
Cependant, le troisième critère de l'affaire Weyerhauser n'était pas respecté. L'arbitre Albertyn a conclu que le lien entre l'incident et la situation de l'employé n'était pas suffisant pour justifier les tests. À son avis, la politique de la société exigeait des enquêteurs qu'ils concluent que l'alcool ou la drogue pouvait être à l'origine de l'accident ou avoir contribué à ce qu'il se produise, ou qu'il n'y avait aucune explication crédible au comportement de l'employé, avant d'exiger les tests de dépistage d'alcool ou de drogue. Le plaignant, toutefois, n'a pas donné le moindre signe indiquant que ses facultés étaient affaiblies au cours des trente minutes qu'a duré l'interrogatoire des enquêteurs. Après qu'il a refusé de se soumettre aux tests, les enquêteurs ne lui ont fourni aucun autre moyen de transport pour retourner chez lui et l'ont laissé rentrer chez lui en voiture. Ce comportement des enquêteurs n'était pas compatible avec la possibilité que le plaignant conduise avec des facultés affaiblies. La cause de l'accident était plutôt évidente : négligence, impatience et inattention. Le plaignant aurait dû demander l'aide d'un préposé au stationnement. Il aurait dû enlever les lunettes de sécurité qui couvraient ses propres verres. Il aurait dû utiliser son rétroviseur. Compte tenu de ces faits, la société aurait pu raisonnablement exclure la possibilité que les facultés affaiblies du plaignant l'aient mené à emboutir un véhicule garé.
L'arbitre Albertyn a fait droit au grief, bien qu'il ait souligné que la décision d'exiger des tests n'était guère facile à prendre pour la société. Selon lui, il s'agissait d'un cas limite, et il a reconnu qu'il y avait des aspects troublants dans le comportement du plaignant ce jour-là.
Cette affaire met en lumière l'approche contextuelle que les arbitres appliqueront dans l'évaluation du caractère raisonnable de l'utilisation de tests de dépistage de substances toxiques après un incident, même lorsqu'une politique claire et raisonnable est en place.