Aperçu général
Dans un bulletin précédent, nous avons publié nos commentaires sur un arrêt1de la Cour d'appel du Québec qui confirmait un jugement2 autorisant la divulgation judiciaire d'informations échangées par une société d'assurance et le Bureau du surintendant des institutions financières (« BSIF »), et ce, malgré le cadre légal qui vise à garantir la confidentialité des renseignements de cette nature.
Le Parlement est intervenu pour clarifier son intention et contrer tout effet négatif qui pourrait découler de la décision. Il a modifié diverses lois pour interdire expressément l'utilisation de ces renseignements comme preuve dans les procédures civiles. Nous estimons que ces modifications, qui sont entrées en vigueur le 23 juin 2015, contribueront à préserver la qualité des échanges entre les institutions financières et le BSIF, et ainsi à maintenir l'efficacité des contrôles réglementaires exercés sur le système financier.
Contexte
Le BSIF a pour mandat de surveiller les banques et les sociétés d'assurance, les associations coopératives de crédit ainsi que les sociétés de fiducie et de prêt sous le régime d'une loi fédérale, et de voir à ce que ces institutions maintiennent une bonne santé financière et respectent la législation applicable. Dans l'exécution de ses fonctions, le BSIF échange des documents avec les institutions réglementées. Le Parlement a toujours reconnu que ces renseignements étaient de nature délicate et c'est pourquoi la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières3 prévoit que les renseignements communiqués par les institutions financières sont confidentiels. En outre, une série de règlements4 interdisent aux institutions financières de divulguer, directement ou non, des « renseignements relatifs à la supervision », tels les cotes que le BSIF attribue ou les rapports qu'il rédige.
Décision de la Cour d'appel
En décembre 2014, dans le contexte d'un recours collectif autorisé engagé contre Société financière Manuvie, la Cour d'appel du Québec, dans une décision partagée, a confirmé un jugement de première instance obligeant la société d'assurance à divulguer des documents qui contiennent des renseignements relatifs à la supervision.
La majorité a réitéré que la recherche de la vérité reste le principe cardinal de toute poursuite civile et que la règle de la pertinence régit toute divulgation de renseignements.
Selon la majorité, la formulation retenue dans les lois et règlements pertinents n'était pas suffisamment claire pour qu'on puisse conclure que le Parlement entendait interdire absolument toute divulgation, et ce, même dans le contexte d'une poursuite judiciaire. Dans cette perspective, les règlements sur les renseignements relatifs à la supervision imposaient simplement un devoir de confidentialité aux institutions financières.
Modifications législatives
Le Parlement a agi sans tarder pour bloquer la voie à la divulgation devant les tribunaux de renseignements relatifs à la supervision. Par le biais du projet de loi de mise en œuvre du budget 20155, le législateur a modifié la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt6, la Loi sur les banques7, la Loi sur les sociétés d'assurance 8 et la Loi sur les associations coopératives de crédit9 en ajoutant la mention suivante : « Les renseignements relatifs à la supervision exercée par le surintendant qui sont précisés par règlement ne peuvent servir de preuve dans aucune procédure civile et sont protégés à cette fin ». Ces modifications sont entrées en vigueur six mois seulement après l'arrêt de la Cour d'appel du Québec et avant que la Cour suprême du Canada ait eu l'occasion de trancher définitivement la question.
Ces modifications ont un effet rétroactif sur les poursuites civiles pour lesquelles, à la date d'entrée en vigueur, aucune décision finale n'avait encore été rendue10, ce qui signifie que les renseignements déjà utilisés ou les documents déjà produits en preuve peuvent être considérés comme irrecevables.
Les modifications prévoient néanmoins un nombre limité d'exceptions à l'immunité en matière de divulgation11. Ainsi, le BSIF et l'État fédéral peuvent toujours utiliser comme preuve dans une poursuite des renseignements relatifs à la supervision. Un tribunal peut également ordonner au BSIF de produire un document ou de faire une déposition orale dans des poursuites intentées par le BSIF ou l'État fédéral dans le contexte de la mise en application de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières.
Conclusion
Dans l'ensemble, nous estimons que les modifications devraient rassurer les institutions financières quant à la confidentialité de leurs communications avec le BSIF. En réagissant sans tarder à la décision de la Cour d'appel du Québec, le Parlement a confirmé qu'il a toujours eu l'intention de protéger les renseignements relatifs à la supervision contre la divulgation judiciaire. Cette approche permet d'assurer un climat de confiance et de transparence entre les institutions financières et le BSIF, et d'empêcher que des renseignements sensibles sur le plan financier soient rendus publics par mégarde.
À toutes fins utiles, le Parlement a infirmé la décision de la Cour d'appel du Québec. Cette intervention nous rappelle que les interdictions de divulgation ne devraient pas être interprétées trop restrictivement lorsque des objectifs de politique publique justifient clairement la protection de renseignements sensibles.
1Société financière Manuvie c. D'Alessandro, 2014 QCCA 2332, demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada retirée.
2Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) c. Société financière Manuvie, 2014 QCCS 2001.
3 L.R.C. 1985, c. 18 (3 e suppl.), partie I.
4Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des sociétés d'assurances, DORS/2001-56; Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des banques, DORS/2001-59; Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des sociétés de fiducie et de prêt, DORS/2001-55; Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des associations coopératives de crédit, DORS/2001-57; Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des banques étrangères autorisées, DORS/2001-58.
5 Voir les articles 232 à 238 de la Loi n°1 sur le plan d'action économique de 2015, L.C. 2015, c. 36 (Projet de loi C-59).
6 L.C. 1991, c. 45, art. 504.
7 L .C. 1991, c. 46, art. 608, 638 et 956.1.
8 L.C. 1991, c. 47, art. 672.2 et 999.1.
9 L.C. 1991, c. 48, art. 435.2.
10 Voir les articles 239 à 245 de la Loi n°1 sur le plan d'action économique de 2015, L.C. 2015, c. 36.
11 Par exemple, voir les paragraphes (3) et (4) de l'article 638 de la Loi sur les banques, L .C. 1991, c. 46.