Le 12 juin 2018, l’Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, engendrant quelques modifications législatives portant notamment sur les agences de placement. Suivant ces changements, l’article 92.5 de la Loi sur les normes du travail (la « LNT ») prévoit désormais qu’il est obligatoire pour les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires de détenir un permis délivré par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST »).
Suivant cet amendement à la LNT, le gouvernement du Québec a adopté le Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (le « Règlement »), entré en vigueur le 1er janvier 2020.
Dans la décision Association provinciale des agences de sécurité c. Procureur général du Québec, rendue le 26 octobre 2022, la Cour supérieure du Québec s’est prononcée sur la validité de certaines dispositions du Règlement. Saisi d’un pourvoi en contrôle judiciaire, l’honorable juge Marc St-Pierre a partiellement accueilli la demande, concluant que la définition « d’agence de placement de personnel » prévue à l’article 1 du Règlement était ultra vires des pouvoirs du gouvernement et l’a par conséquent déclaré nulle.
La décision
L’article 1 du Règlement prévoit que la définition d’agence de placement de personnel s’entend de toute entreprise « dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main-d’œuvre. » Ainsi formulé, le Règlement vient étendre la portée de l’article 92.5 de la LNT à l’ensemble des entreprises québécoises effectuant du prêt de personnel, plutôt que de se limiter aux agences de placement de personnel. Conséquemment, l’obligation de détenir un permis conformément à l’article 92.5 LNT pourrait avoir pour effet de s’appliquer, par exemple, aux firmes de génie-conseil et aux entrepreneurs en construction, dès lors qu’un ouvrier ou un professionnel est prêté à une entreprise cliente.
Les associations d’employeurs agissant à titre de demanderesses et d’intervenantes ont fait valoir deux arguments principaux :
- elles ont d’abord soumis que la définition prévue à l’article 1 du Règlement est ultra vires puisqu’elle est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante, soit la LNT;
- elles ont ensuite avancé que, par l’adoption du Règlement, le gouvernement du Québec a illégalement délégué ses pouvoirs à la CNESST, en ce qui a trait aux conditions d’obtention du permis requis pour les agences visées par l’article 92.5 de la LNT.
Plus précisément, les associations demanderesses et intervenantes attaquaient ces dispositions puisqu’elles prévoient qu’il revient à la CNESST d’établir le lien entre les infractions pénales ou criminelles et l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé, ce qui constitue une délégation illégale de pouvoirs.
La Cour a conclu que la définition d’agence de placement de personnel était ultra vires. En effet, le juge St-Pierre a tranché qu’au-delà des termes généraux de la disposition habilitante, le Règlement ne pouvait pas excéder l’objet véritable de la loi qui, selon la Cour, ne vise que les agences spécialisées en placement de personnel. Ainsi, étendre la portée de la loi de manière à ce que soit incluse à la définition d’agence de placement toute entité dont l’une des activités consiste à faire de la location de personnel étendrait le champ d’application de la loi à autre chose que son objet véritable.
En ce qui a trait à la délégation du pouvoir réglementaire, la Cour a conclu que le gouvernement n’a pas illégalement délégué à l’intervenante CNESST le pouvoir de déterminer quelles seraient les infractions en lien avec l’exercice des activités pour lesquelles est demandé le permis rendu obligatoire pour les agences de placement de personnel. En effet, même s’il est prévu aux dispositions contestées que la délivrance d’un permis pourrait être refusée de « l’avis de la Commission », ceci n’accorde pas à la CNESST le pouvoir de refuser déraisonnablement un permis à une agence pour une infraction qui n’aurait pas de lien avec les activités pour l’exercice desquelles le permis est demandé. Ainsi, en l’absence d’incidence réelle, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de sous-délégation illégale et que les sept dispositions de l’article 11 du Règlement attaquées par les associations ne sont pas ultra vires.
Points à retenir
Sans surprise, cette décision en est une d’intérêt pour toute entreprise s’adonnant au prêt de personnel, peu importe l’industrie, notamment en matière d’ententes de détachement de personnel chez des clients, fournisseurs ou autres.
À la lumière de cette décision, il appert donc que la définition d’agence de placement de personnel ne peut être étendue à toute entité « dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main-d’œuvre », contrairement à ce qui est prévu à l’article 1 du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires.
Il convient cependant de noter que cette décision n’a pas encore fait l’objet d’un appel. Or, considérant l’incidence prévisible de cette affaire sur plusieurs secteurs, notamment dans le domaine de la construction, il sera intéressant de voir quelle position sera adoptée par le gouvernement du Québec.
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Les auteurs remercient Isabelle Simard, stagiaire en droit, pour sa contribution à cette publication.