Résumé
Les règles concernant le nombre de représentants des travailleurs sur un comité de santé et de sécurité, leur désignation et la fréquence minimale des rencontres du comité s’avèrent très techniques. Cette chronique vise à les décortiquer.Introduction
L’un des changements importants introduits par la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail1 (la « LMRSST ») est l’exigence imposée à tous les employeurs opérant un établissement de 20 travailleurs ou plus de mettre en place un comité de santé et de sécurité sans égard à la nature des activités qui y sont menées. Avant la réforme, seuls les employeurs opérant dans les « groupes prioritaires » étaient tenus à cette obligation.
Les dispositions exigeant la constitution de comités en vertu du régime intérimaire sont en vigueur depuis le 6 avril 2022. Le régime permanent entrera en vigueur d’ici le 6 octobre 2025.
La LMRSST prévoit qu’un comité doit être formé en vertu du régime intérimaire « au sein d’un établissement groupant au moins 20 travailleurs lorsque cet établissement n’a pas de comité de santé et de sécurité formé conformément à l’article 69 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [la “LSST”], tel qu’il se lisait le 5 octobre 20212». Le régime intérimaire vise donc les employeurs qui ne faisaient pas partie d’un groupe prioritaire.
L’application des nouvelles dispositions soulève des problèmes d’ordre pratique auxquels le législateur offre peu de réponses. Nous discuterons ici de certains de ces enjeux.
Le nombre de travailleurs membres du comité de santé et de sécurité
La LMRSST prévoit que le nombre de représentants des travailleurs au sein d’un comité est déterminé par entente entre l’employeur et les travailleurs de l’établissement.
La LMRSST est silencieuse sur le processus par lequel une telle entente est conclue, mais elle prévoit que l’article 72 LSST, tel qu’il se lisait le 5 octobre 2021, s’applique à la désignation des membres du comité, avec les adaptations nécessaires.
Sous l’ancien régime, le gouvernement avait adopté le Règlement sur les comités de santé et de sécurité du travail 3 (le « Règlement »), qui fixait le nombre de représentants des travailleurs à défaut d’entente (art. 4). Cet article a été implicitement remplacé par le deuxième alinéa de l’article 290 LMRSST qui prévoit, à défaut d’entente :
1° de 20 à 50 travailleurs : 2 représentants ;
2° de 51 à 100 travailleurs : 3 représentants ;
3° de 101 à 500 travailleurs : 4 représentants ;
4° de 501 à 1 000 travailleurs : 5 représentants ;
5° plus de 1 000 travailleurs : 6 représentants.
Le quatrième alinéa de l’article 290 LMRSST prévoit que le consentement des travailleurs à une entente est donné par les syndicats qui les représentent et par les travailleurs non représentés par un syndicat, selon la méthode déterminée entre eux.
Dans un milieu syndiqué, l’employeur peut négocier avec le syndicat le nombre de représentants des travailleurs sur le comité.
Dans un milieu non syndiqué, l’employeur n’a pas d’interlocuteur. Selon la loi, le consentement des travailleurs non syndiqués à une telle entente est donné « selon la méthode déterminée entre eux ».
Nous pouvons imaginer divers scénarios à cet égard. L’occasion la plus propice sera possiblement lors de l’assemblée de nomination des représentants des travailleurs sur le comité. Il semble logique de déterminer le nombre de représentants avant de les désigner.
Aussi, les travailleurs pourraient alors se pencher sur la répartition possible des postes entre les groupes de travailleurs dans l’établissement, en tenant compte notamment des risques pertinents à chaque groupe.
Nous discutons ci-dessous de certains enjeux liés à la participation de l’employeur à l’assemblée.
La désignation des représentants des travailleurs au sein du comité de santé et de sécurité
La LMRSST est silencieuse sur le processus de désignation des représentants des travailleurs, mais elle prévoit que l’article 72 LSST, tel qu’il se lisait le 5 octobre 2021, s’applique à la désignation des membres du comité, avec les adaptations nécessaires4.
Cet article 72 prévoit que les représentants des travailleurs sont désignés parmi les travailleurs de l’établissement. Si un syndicat est accrédité pour représenter l’ensemble des travailleurs de l’établissement, il désigne tous les représentants des travailleurs sur le comité. Lorsque plusieurs syndicats représentent l’ensemble des travailleurs de l’établissement, ils peuvent, par entente, désigner les représentants des travailleurs. Si les syndicats ne s’entendent pas, la désignation des représentants est déterminée selon les modalités fixées par règlement.
Dans les autres cas, la désignation des représentants des travailleurs est aussi déterminée selon les modalités fixées par règlement.
L’article 10 du Règlement concerne la situation où plusieurs associations accréditées représentant l’ensemble des travailleurs d’un établissement ne s’entendent pas sur la désignation des travailleurs au sein du comité.
L’article 11 du Règlement prévoit que lorsqu’une seule association accréditée représente des travailleurs d’un établissement sans les représenter tous, cette association accréditée désigne la majorité des représentants des travailleurs au sein du comité.
Cette disposition tient pour acquis qu’un syndicat représente la majorité des travailleurs d’un établissement.
Dans le cas où un syndicat ne représenterait qu’une petite proportion des travailleurs, le résultat peut être absurde. Par exemple, une dizaine de travailleurs affectés à la maintenance se syndiquent au sein d’une entreprise de 90 travailleurs. Le syndicat a le droit de nommer deux des trois représentants des travailleurs sur le comité de santé et de sécurité de l’établissement. Un employeur pourrait tenter de négocier avec le syndicat qu’il accepte de nommer un de ses représentants hors de l’unité de négociation par esprit d’équité.
L’article 13 du Règlement prévoit que, lorsque le groupe des travailleurs non représentés par un syndicat est habilité à désigner un représentant au sein du comité, celui-ci est désigné par scrutin lors d’une assemblée convoquée à cette fin par les représentants des travailleurs et de l’employeur qui sont déjà membres du comité.
Dans ce cas de figure, des membres du comité déjà désignés prennent l’initiative de rédiger et d’afficher un avis du scrutin et de l’assemblée de mise en candidature.
Nous présumons que ces personnes peuvent être présentes à l’assemblée et l’animer. Sinon, les travailleurs non syndiqués seraient laissés à eux-mêmes, sans formation et sans explications sur le processus d’élection, ni même sur le rôle d’un membre d’un comité de santé et de sécurité ou sur le rôle d’un tel comité.
Lorsque les travailleurs d’un établissement ne sont pas syndiqués, l’article 15 du Règlement prévoit que les représentants des travailleurs au sein du comité sont désignés par scrutin, lors d’une assemblée convoquée à cette fin par un travailleur de l’établissement.
L’employeur semble exclu du processus, ne serait-ce que pour offrir un soutien technique et de l’information.
Si personne ne prend l’initiative, les postes des travailleurs au sein du comité sont laissés vacants (art. 14 du Règlement), ce qui paralyserait les travaux du comité. L’article 26 du Règlement prévoit qu’une réunion ne peut être tenue que si au moins la moitié des membres qui représentent les travailleurs et au moins un membre représentant l’employeur au sein du comité y prennent part.
L’employeur a donc intérêt à ce qu’un travailleur ou un groupe de travailleurs prennent l’initiative. Il pourrait solliciter des volontaires par un appel à tous et fournir du soutien technique et de l’information aux travailleurs intéressés, qui eux pourront rédiger et afficher un avis du scrutin et de l’assemblée de mise en candidature, ainsi qu’animer l’assemblée.
Cependant, il semble peu propice qu’un représentant de l’employeur soit présent à l’assemblée, au risque de se voir targué de la dominer. Notamment, l’article 16 du Règlement prévoit que nul ne doit entraver la tenue d’un scrutin prescrit.
La fréquence minimale des rencontres du comité de santé et de sécurité
Le premier alinéa de l’article 74 LSST, tel qu’il se lisait le 5 octobre 2021, prévoit que le comité se réunit au moins une fois tous les trois mois, sous réserve des règlements. Cependant, le dernier alinéa de l’article 290 LMRSST précise que seulement les deuxième et troisième alinéas de l’article 74 s’appliquent.
Le Règlement prévoit, à l’article 19, que le comité se réunit dans les trois jours ouvrables suivant la demande de l’un de ses membres, s’il survient l’un des événements décrits au premier alinéa de l’article 62 LSST.
Il prévoit aussi, à l’article 20, que le comité d’un établissement groupant moins de 25 travailleurs se réunit au moins une fois tous les trois mois ; que le comité d’un établissement groupant de 25 à 100 travailleurs, au moins une fois tous les deux mois ; et que le comité d’un établissement groupant plus de 100 travailleurs se réunit au moins une fois par mois.
Cependant, comme le premier alinéa de l’article 74 LSST ne s’applique pas au régime intérimaire, l’article 20 du Règlement n’aurait pas d’assise dans la loi.
Cela dit, le troisième alinéa de l’article 290 LMRSST règle la difficulté en prévoyant que la fréquence minimale des rencontres est déterminée par entente entre l’employeur et les travailleurs de l’établissement. À défaut, le comité se réunit au moins une fois tous les trois mois.
Beaucoup de méandres par le législateur pour revenir un peu à la même chose.
L’employeur est de nouveau face à une possibilité d’entente afin de modifier la fréquence trimestrielle minimale.
Encore une fois, en milieu non syndiqué, se pose la question de l’interlocuteur et du processus requis afin d’en venir à une entente. Nous vous référons à la discussion ci-dessus.
Conclusion
Pour un aspect aussi fondamental de la réforme, l’application des règles concernant le nombre de travailleurs membres du comité de santé et de sécurité, la désignation des représentants des travailleurs au sein du comité et la fréquence minimale de ses rencontres est relativement complexe, surtout en milieu non syndiqué. La tenue ordonnée d’assemblée de travailleurs non syndiqués bien informés soulève des défis auxquels les employeurs doivent faire face sans beaucoup d’outils. Dans le doute, au risque de voir la validité de la constitution d’un comité mis en doute, mieux vaut consulter un spécialiste en temps utile.
* Me François Longpré, associé, Borden Ladner Gervais, S.E.N.C., S.R.L.
1 L.Q. 2021, c. 27.
2 Art. 290(1).
3 RLRQ, c. S-2.1, r. 5.
4 Art. 290(6).