Dans le métavers, des terrains virtuels sont vendus pour des sommes astronomiques. En effet, en 2021, des terrains virtuels d’une valeur de 450 M$ CA ont été achetés sur la plateforme principale du métavers, la plus importante transaction s’étant clôturée à plus de 5,5 M$ CA1. Le présent article analyse donc le secteur de l’immobilier dans le métavers et les grandes considérations juridiques connexes au Canada.
Architecture transactionnelle du métavers
Comme nous l’expliquions dans notre article sur les enjeux juridiques du métavers, ce dernier est généralement défini comme un monde virtuel hautement immersif et interconnecté formé de multiples plateformes potentiellement concurrentes. Il s’appuie en outre sur diverses technologies telles que la réalité virtuelle et augmentée, les jetons non fongibles (« JNF») et le commerce électronique, qui, ensemble, simplifient l’expérience utilisateur et la rendent toujours plus immersive. Au fur et à mesure que le secteur croît, de plus en plus d’entreprises tentent de s’imposer et d’investir dans ces mondes émergents. En 2021 seulement, le financement par capital-investissement et capital de risque dans le métavers s’est élevé à 13 G$.
La plupart des plateformes du métavers sont publiques et reposent sur une chaîne de blocs qui permet aux détenteurs d’actifs numériques (comme les JNF) d’en faire la négociation. Bon nombre d’entre elles intègrent le concept de rareté numérique, rendant les investissements immobiliers dans ce secteur potentiellement lucratifs. Les propriétaires de terrains virtuels peuvent en faire l’usage qui leur plaît (dans le respect des conditions d’utilisation ou du protocole de gouvernance de la plateforme concernée), par exemple en les louant, en y construisant une vitrine virtuelle, ou en y créant une expérience numérique exclusive. L’emplacement du lot virtuel et l’identité de ses voisins peuvent avoir une incidence sur son prix. Par exemple, un terrain adjacent à Snoopverse a été vendu pour 450 000 $ US2.
Transactions immobilières dans le métavers
Le métavers peut être soumis aux mêmes contraintes que le monde physique, comme la gravité et la rareté des terrains et des actifs3. De novembre 2021 à janvier 2022, une certaine plateforme a ainsi enregistré environ 8 000 opérations immobilières par mois, la transaction moyenne s’élevant à 16 500 $ CA et la plus élevée (pour un seul lot), à 253 000 $ CA4.
Alors que le métavers continue de prendre forme, l’engouement pour les investissements dans ce monde virtuel ne cesse de croître, du côté tant des particuliers que des organisations. Néanmoins, tout comme dans le monde réel, les investisseurs et les entreprises doivent tenir compte de certains risques.
Terrain virtuel ou valeur mobilière?
Étant donné que les plateformes du métavers n’en sont qu’au stade embryonnaire, elles risquent un jour ou l’autre d’être confrontées à des obstacles. Parallèlement, les organismes de réglementation devront prendre les mesures nécessaires pour encadrer le commerce électronique dans ce secteur. Par exemple, l’échange et la vente de JNF, y compris les terrains numériques, pourraient être vus comme des transactions de valeurs mobilières dans le monde réel si les JNF eux-mêmes sont considérés comme des valeurs mobilières plutôt que des biens. Par conséquent, les pratiques de base du commerce électronique et les modalités entourant les transactions immobilières virtuelles dans le métavers pourront changer si celles-ci nécessitent le dépôt d’un prospectus (ou une dispense à cet égard).
De telles opérations seront en outre visées par des défis particuliers. Par exemple, dans le monde physique, les acheteurs de terrains n’ont pas à s’inquiéter qu’un promoteur sorte soudainement des lots supplémentaires de son chapeau. Par contre, dans le monde virtuel, ce risque est bien réel : il suffit de modifier une ligne de code pour y parvenir. Dans certains cas, des plateformes du métavers peuvent décider de créer d’autres lots une fois que des investisseurs ont déjà acheté bon nombre de leurs terrains virtuels. Ces terrains supplémentaires offerts « en quantité limitée » (puisqu’ils sont basés sur des JNF) dévaloriseraient probablement les lots existants, qui ont été achetés dans l’idée que leur environnement virtuel était d’une taille finie. Ce genre d’enjeu pourrait faire l’objet d’une plus grande surveillance réglementaire.
Risques virtuels, protection réelle
Les plateformes du métavers ne sont pas protégées par les lois sur la propriété en vigueur dans le monde physique. L’immobilier traditionnel est régi par une législation et une jurisprudence bien établies, et ces lois sont appliquées par des entités gouvernementales dotées de forts pouvoirs réglementaires. La propriété des biens immobiliers dans le monde réel est attestée par un registre cadastral, et les propriétaires détiennent un ensemble de droits clairs sur ces biens. Par exemple, un demandeur en tierce partie ne peut simplement accaparer un immeuble; même les gouvernements doivent passer par un processus visé par certaines règles et limitations s’ils souhaitent procéder à une expropriation. De plus, l’utilisation des sols et la réglementation foncière sont étroitement surveillées par les autorités municipales et locales, lesquelles doivent respecter des règles strictes en tenant compte des besoins de la communauté visée.
À l’inverse, les règlements encadrant l’immobilier dans le métavers sont en grande partie dictés par la plateforme émettrice. Tant que les gouvernements et les tribunaux n’auront pas décidé de réglementer plus directement les plateformes du métavers, celles-ci pourront apporter autant de changements à leurs biens immobiliers virtuels que leurs conditions d’utilisation l’autorisent. D’autre part, la question de savoir comment elles détermineront les intérêts de la communauté ou la meilleure façon d’utiliser des terrains reste entière, étant donné l’absence de jurisprudence, de réglementation ou d’obligation de reddition de comptes. Quiconque souhaite investir dans l’immobilier virtuel doit analyser rigoureusement les conditions d’utilisation de la plateforme concernée pour savoir si ses droits de propriété seront adéquatement protégés.
Risques additionnels : prêts hypothécaires dans le métavers
Le prix des terrains virtuels dans le métavers atteint et, dans certains cas, dépasse les prix des biens immobiliers réels. Par conséquent, de nouveaux produits financiers ont rapidement été créés pour répondre à la demande de crédit visant de tels achats. Plus précisément, des produits hypothécaires sont maintenant offerts pour financer l’achat de lots virtuels dans le métavers. Cependant, tout comme les autres produits financiers, ils comportent une part de risques, lesquels sont amplifiés par le fait qu’il n’existe aucune réglementation pour protéger les consommateurs. Les particuliers ou les entreprises qui décident de contracter un prêt hypothécaire pour entrer sur le marché immobilier virtuel doivent être conscients du fait que ce type de produit est plutôt considéré comme un prêt garanti, à l’instar de la négociation de titres sur marge.
La valeur des terrains virtuels est non seulement assujettie à la nature volatile des actifs à base de JNF, mais elle risque également de diminuer si de nouveaux lots sont créés. Dans les deux cas, elle pourrait baisser en deçà de celle du prêt hypothécaire, ce qui constituerait probablement un cas de défaut, même si les paiements sont effectués régulièrement.
Autre préoccupation : les prêts hypothécaires consentis par suite de pratiques de prêt à des conditions abusives. Les entreprises ou les particuliers touchés n’ont que peu de recours juridiques, étant donné l’absence de réglementation du commerce électronique dans le métavers. Il importe donc de surveiller étroitement l’évolution du paysage réglementaire d’ici et d’ailleurs face aux préoccupations liées au commerce électronique et aux transactions immobilières dans le métavers.
Conclusion
Le métavers est sans équivoque un environnement hautement volatil et spéculatif. Nul ne devrait y faire des affaires sans d’abord mener une réflexion approfondie. L’acquisition d’une propriété et la création d’une marque reposant sur des biens immobiliers virtuels peuvent entraîner des problèmes juridiques parfois inédits dont la résolution nécessitera l’avis de spécialistes. Les entreprises doivent élaborer un plan d’affaires souple et comprendre les risques juridiques connexes avant d’étendre leurs activités dans le métavers, que la propriété de terrains virtuels fasse ou non partie de ce plan.
Pour en savoir plus sur les considérations juridiques relatives à l’immobilier commercial canadien dans le métavers, veuillez communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous.
1 Centre for Finance, Technology and Entrepreneurship, « Real Estate in the Metaverse » (2022) p. 6 (PDF en anglais en ligne).
2 Ibid p. 18.
3 Ibid p. 6.
4 Ibid.