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Perspectives

Processus de nomination des juges des cours suprêmes du Canada et des États-Unis : une année marquée par des avancées historiques

Introduction

Au cours de la dernière année, les plus hautes instances du Canada et des États-Unis ont connu des nominations historiques. Le 1er juillet 2021, Mahmud Jamal fut la première personne de couleur à accéder à la Cour suprême du Canada (CSC) Ensuite, le 19 août 2022, Michelle O’Bonsawin est devenue la première juge autochtone nommée à ce tribunal. Au sud de la frontière, Ketanji Brown Jackson est récemment devenue la première femme noire siégeant à la Cour suprême des États-Unis.

Dans la foulée de ces nominations, le présent article donne un aperçu des processus par lesquels les deux pays ont fait de 2022 une année historique pour leur cour suprême respective.

Points à retenir

  • La diversité ethnique est une priorité pour les plus hautes instances du Canada et des États-Unis, comme en témoignent de récentes désignations historiques.
  • Bien que les processus de nomination officiels du Canada et des États-Unis soient différents, on observe depuis peu une certaine convergence dans leur pratique.
  • Aux États-Unis, ce pouvoir est partagé entre le président et le Sénat. Le président procède à une nomination avec le consentement du Sénat, à la suite d’audiences devant le Comité de la justice du Sénat des États-Unis.
  • Au Canada, cette responsabilité incombe officiellement au gouverneur général, qui agit selon les recommandations du premier ministre. Aucune loi ne régit le processus de nomination; jusqu’à récemment, il était mené de manière informelle par le premier ministre.
  • Depuis 2003, une succession de gouvernements canadiens a tenté d’introduire divers processus de consultation plus formels pour la sélection des candidats, mais aucune méthode uniforme n’a été adoptée.
  • En 2006, le gouvernement de Stephen Harper a mis en place un procédé selon lequel un comité spécial de la Chambre des communes convoquait les candidats en entrevue, mais il n’a pas été suivi de manière systématique.
  • En 2016, Justin Trudeau a créé un comité consultatif indépendant et non partisan chargé de lui fournir une liste de candidats qualifiés et bilingues.
  • Les deux langues officielles (français et anglais) du Canada et l’engagement de celui-ci à défendre les droits linguistiques des francophones pourraient faire du bilinguisme des juges de la CSC une obligation légale si le projet de loi C-13 est adopté (en plus d’autres considérations liées à la diversité).

L’approche des États-Unis

La Constitution des États-Unis prévoit que le président désigne les juges de la Cour suprême selon les recommandations du Sénat, puis confirme les nominations après avoir obtenu le consentement de ce dernier. Ce processus a subi quelques modifications au fil des années, mais sa caractéristique essentielle demeure la même : le pouvoir est partagé entre le président et le Sénat.

Il se déroule en deux temps. Les candidats sont d’abord officiellement nommés par le président, puis leur candidature est confirmée par le Sénat. L’avis et le consentement du Sénat sont donnés sans la participation officielle de la Chambre des représentants et ont pour but de baliser le pouvoir de nomination du président. Dans le cadre du processus de confirmation, les candidats sont évalués par le Comité de la justice du Sénat. Une décision est ensuite rendue par l’ensemble du Sénat.

La fréquence à laquelle des juges accèdent à la Cour suprême des États-Unis est imprévisible : afin d’assurer l’indépendance judiciaire, ceux-ci sont nommés à vie. Une vacance à la Cour suprême ne se produit que lorsqu’un juge en exercice démissionne, prend sa retraite, décède ou est démis de ses fonctions. Bien que les candidats soient évalués selon leurs compétences juridiques, l’envergure de leur carrière et leurs qualités personnelles, il est généralement admis que les présidents les choisissent en fonction de leur philosophie judiciaire et de leur capacité à générer un appui politique suffisant pour obtenir l’approbation du Sénat. Une fois que le président a officiellement soumis une nomination, le candidat est évalué par le comité permanent de l’American Bar Association avant l’audience d’approbation devant le Sénat.

Ce processus peut véritablement faire obstacle à la validation d’un candidat. Dernièrement, un candidat a été rejeté en raison d’un manque de soutien du Sénat, tandis qu’un autre n’a pas réussi à obtenir suffisamment de voix pour voir sa candidature homologuée. Historiquement, l’approbation des juges était ralentie par la technique de l’obstruction systématique au Sénat, qui ne peut être renversée que par une majorité qualifiée. Cependant, cette règle a été abolie en 2013 pour les tribunaux autres que la Cour suprême et en 2017 pour la Cour suprême. Le Sénat peut désormais approuver les nominations à la Cour suprême par un vote à majorité simple.

Le plus haut tribunal des États-Unis est actuellement composé de neuf juges (un nombre impair de juges garantit que toute décision sera prise à la majorité) et compte quatre femmes et cinq hommes, y compris le juge en chef. On a récemment évoqué la possibilité d’augmenter ce nombre, mais aucune mesure concrète n’a été prise dans ce sens.

L’approche du Canada

Contrairement au processus américain prévu par la Constitution, le pouvoir de nomination des juges canadiens est régi par la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, qui le confère au gouverneur en conseil.

Par convention, le gouverneur agit sur recommandation du premier ministre. Traditionnellement, cela signifiait que le premier ministre disposait d’un large pouvoir discrétionnaire et avait le dernier mot dans la sélection et la nomination des juges de la CSC. Le processus était critiqué pour son manque de transparence. Par convention également, la composition de la CSC est toujours la même : trois juges de l’Ontario, trois juges du Québec (une exigence prévue par la Constitution, selon la CSC), deux juges des provinces de l’Ouest ou des territoires du Nord et un juge du Canada atlantique. Les juges sortants sont remplacés par un candidat de la même région.

Au cours des deux dernières décennies, les gouvernements ont mis en place des mesures visant à réduire le pouvoir discrétionnaire du premier ministre dans la sélection des candidats et à rendre le processus de nomination plus transparent. Aujourd’hui, les juges qui aspirent accéder à la CSC peuvent présenter leur candidature lorsqu’un siège devient vacant. Le Comité consultatif indépendant sur la nomination des juges de la Cour suprême du Canada, composé de huit membres, dont des avocats, un juriste de renom, une ancienne juge et d’autres membres de la communauté juridique (certains représentant des groupes militant pour l’équité), a pour mandat de formuler des recommandations non contraignantes, fondées sur le mérite, à l’intention du premier ministre en vue des nominations à la CSC. Le 4 avril 2022, le premier ministre a annoncé l’ajout d’un représentant autochtone au Comité consultatif indépendant, conformément à l’engagement du gouvernement envers la réconciliation.

Parmi les critères de nomination à la CSC publiés sur le site Web du Commissariat à la magistrature fédérale Canada, mentionnons la satisfaction aux exigences de la Loi sur la Cour suprême, le bilinguisme fonctionnel (français et anglais), les compétences et l’expérience personnelles, de même que les besoins institutionnels de la Cour, comme posséder une expertise dans un sujet précis ou refléter la diversité de la société canadienne.

Le Comité consultatif indépendant rencontre et consulte un large éventail d’organisations juridiques et judiciaires canadiennes, puis dresse une liste restreinte de recommandations non contraignantes. Ces recommandations (ou toute objection) ne visent qu’à tenir le premier ministre responsable de sa sélection. Une fois que le premier ministre a choisi un candidat, le ministre de la Justice et le président du Comité consultatif indépendant comparaissent devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes afin de motiver leur décision.

Cela fait suite à une nouveauté introduite en 2006, lorsqu’un candidat à la CSC s’est présenté pour la première fois devant un comité spécial du Parlement lors d’une entrevue télévisée. Ce processus, utilisé sporadiquement depuis lors, rappelle les audiences d’approbation américaines. Toutefois, le Parlement n’a pas le pouvoir de rejeter une nomination et les audiences canadiennes n’ont aucune fonction constitutionnelle. Elles sont animées par un professeur de droit et ont pour but de permettre au public et aux parlementaires de mieux connaître les candidats.

L’audience parlementaire portant sur la nomination de la juge O’Bonsawin a eu lieu le 24 août 2022.

La nomination de la juge O’Bonsawin à la CSC fait en sorte que sa composition hommes-femmes est la même que celle des États-Unis, c’est-à-dire quatre femmes et cinq hommes, y compris le juge en chef. Ce changement permettra de rétablir le ratio qui a prévalu pendant près de deux décennies, mais qui a été brièvement perdu quand la juge Abella a pris sa retraite en 2021 et a été remplacée par le juge Jamal. Au total, 38 % des candidats étaient des femmes lors du dernier processus de sélection; ce nombre devrait d’ailleurs augmenter lors des prochaines nominations.

Bien que le bilinguisme fonctionnel ne soit pas encore une obligation légale, le gouvernement de Justin Trudeau l’a ajouté aux critères de sélection de la CSC. Le 1er mars 2022, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-13, qui propose des modifications à la Loi sur les langues officielles. S’il est adopté, il obligera les juges de la CSC à comprendre les deux langues officielles sans l’aide d’un interprète.

Conclusion

Malgré différentes traditions historiques et des systèmes constitutionnels distincts, les processus de nomination des juges des cours suprêmes du Canada et des États-Unis présentent certaines similitudes.

Dans les deux pays, les candidats sont sélectionnés par l’exécutif. Aux États-Unis, le président doit tenir compte des candidats approuvés par le Sénat dans son exercice du pouvoir de nomination. Au Canada, les gouvernements ont volontairement limité le pouvoir discrétionnaire du premier ministre dans la sélection des candidats afin d’assurer une certaine transparence dans le processus de nomination.

Les cours suprêmes des deux pays jouent un rôle déterminant et rendent des décisions d’une grande importance sociale. Dans cette optique, la Cour suprême des États-Unis et la CSC ont récemment mis l’accent sur la diversité afin que les juges siégeant au sommet de la hiérarchie judiciaire reflètent mieux le public qu’ils servent.

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