Avant de recevoir son nom traditionnel, Jesse Thistle espérait quelque chose de grandiose comme « Aigle majestueux » ou « Ours puissant ». À la place, les Anciens l’ont baptisé « Maskeweskinaw » qui, en cri, signifie « force du parcours ». C’est ainsi que Jesse s’est adressé à l’auditoire de BLG, composé de presque 1 400 clients et membres du cabinet lors d’une présentation spécialement organisée dans le cadre de la Journée nationale des peuples autochtones. « Avec un peu de chance, mon histoire vous éclairera sur les raisons qui m’ont valu ce nom ».
Métis-Cri né dans le nord de la Saskatchewan, Jesse est un universitaire primé et un auteur à succès. Il sait également ce que c’est de vivre dans sa voiture, d’aller en prison simplement pour pouvoir avoir accès à des soins de santé et d’apprendre à lire par soi-même passé 30 ans. « Je ne suis pas un intellectuel ordinaire, nous a confié Jesse. La plupart des gens comme moi, on n’en entend pas parler : ils sont soit morts, soit sous les verrous, soit enfermés dans un établissement psychiatrique. »
L’histoire de Jesse repose sur un traumatisme intergénérationnel, une forme de trouble de stress post-traumatique familial transmis de génération en génération, qui touche davantage les Autochtones que le reste de la population canadienne et qui se manifeste souvent par des dépendances, de la violence, de la misogynie, des troubles mentaux, de la criminalité, de la précarité et de l’itinérance.
Jesse avait trois ans quand sa mère les a abandonnés, ses deux frères et lui. Peu après, ils ont été soustraits à la garde de leur père par la société d’aide à l’enfance et envoyés à Brampton pour y être élevés par des grands-parents paternels très durs.
À 15 ans, il abuse déjà de l’alcool et de la drogue dans des raves. À 17 ans, il arrête l’école. Il a 21 ans quand sa « carrière d’itinérant » débute. Une décennie plus tard, il était devenu un criminel professionnel accro au crack et avait un dossier de police de presque 10 cm d’épaisseur.
Jesse dit que « le système » l’a laissé tomber. Sans assurance maladie, il ne pouvait être admis en centre de réadaptation. Sans pièce d’identité, il ne pouvait pas gagner sa vie dans la dignité. Sans carte d’assurance maladie, il ne pouvait se présenter dans une clinique sans rendez-vous. Les organismes spécialisés en santé mentale ne lui étaient d’aucune aide : il ne souffrait pas d’une maladie mentale; après tout, tout était dû à sa toxicomanie. Les refuges et les centres de désintoxication lui donnaient son congé après quelques jours seulement, le renvoyant à la rue sans billet de bus, nourriture, soin de santé, ni logis.
Ironiquement, c’est sous les verrous qu’il a fini par trouver la liberté.
L’incarcération signifiait avoir des vêtements propres, dormir au chaud dans un lit, se nourrir correctement, avoir accès à un médecin et à un dentiste et suivre des cours à distance. À 32 ans, alors qu’il pesait 60 kg, Jesse s’est vu imposer par les tribunaux un séjour dans un centre de réadaptation d’Ottawa. S’il y restait une année entière, celle-ci serait comptabilisée dans sa sentence. Dans le cas contraire, sa peine de prison serait prolongée. « Ils ont employé la manière forte, a-t-il admis. Pour une fois, j’ai eu l’impression que le système se souciait de moi ».
En centre de réadaptation, Jesse a atteint la sobriété en faisant bien attention à ne pas brûler les étapes; il est notamment parvenu à combler ses états de manque en pratiquant la course de fond et en buvant 30 tasses de café par jour. Au cours de son séjour, il a réappris à se brosser les dents, a pris 45 kg, a obtenu son diplôme d’études secondaires et a terminé en tête de sa promotion dans le cadre du programme de transition de l’Université Carleton. Ce faisant, il a trouvé le courage de recommencer à rêver et à espérer.
Trois ans après son séjour en centre de réadaptation, grâce à l’amour et au soutien de sa compagne Lucie, aujourd’hui devenue sa femme, Jesse s’est retrouvé à l’Université York, cherchant à savoir qui il était, d’où il venait et pourquoi les membres de sa famille et le système l’avaient laissé tomber. « J’avais besoin de leur pardon, du mien et de celui de la société, a reconnu Jesse. Je savais que si je ne l’obtenais pas, je me retrouverais un jour de nouveau à la rue, à consommer de la drogue ».
À l’Université York, Jesse a courageusement appliqué les principes qu’il avait appris en centre de réadaptation aux traumatismes non résolus qui ont jalonné les 200 ans de son histoire familiale.
Il a appris que les ancêtres de sa mère étaient en réalité les rebelles métis qui avaient lutté contre l’expansion impériale du Canada et avaient été écrasés lors de la résistance de la rivière Rouge en 1869 et de la rébellion du Nord-Ouest en 1885. « Le Canada nous a volé nos terres, nous a privés de nos droits et nous a condamnés à la pauvreté pendant plus d’un siècle, a affirmé Jesse. Nous sommes devenus des squatteurs sur des terres dont personne ne voulait. C’est le monde dans lequel je suis né ».
Ses grands-parents paternels sont descendants d’Écossais de la région des Highlands, forcés à l’exil et envoyés sur l’île du Cap-Breton au XIXe siècle par les Britanniques, qui voulaient à consacrer les terres ainsi usurpées à l’élevage intensif de moutons. Ses ancêtres algonquins du côté de sa grand-mère paternelle ont quant à eux été traumatisés par les pensionnats autochtones. « Aucun de mes grands-parents n’était apte à élever des enfants. Les dés de l’histoire étaient pipés à leur désavantage ».
Pour la première fois de sa vie, Jesse s’est rendu compte qu’ils n’étaient responsables en rien. « J’ai fini par comprendre et par pardonner à l’histoire, à ma mère, à mon père et à moi-même, a déclaré Jesse. C’est un travail incroyablement difficile. Mais si on ne le fait pas, les traumatismes intergénérationnels s’aggravent avec le temps. À un moment donné, il faut que quelqu’un s’en charge. »
Le cheminement personnel de Jesse l’a amené à proposer une nouvelle définition de l’itinérance chez les Autochtones, qui a révolutionné la façon dont les activistes, les gouvernements et les universitaires en abordent les causes. Selon lui, « il ne s’agit pas seulement de ne pas avoir de toit sur la tête, mais de se trouver coupé, en raison de la colonisation, de “tous ses liens” : sa terre, ses proches, son histoire et les chants de son peuple ».
« Mon parcours m’a donné la force de recoller les morceaux de mon cœur grâce à la compréhension, a conclu Jesse. Nous sommes simplement des gens écorchés par la vie dont le cœur a été brisé. Nous méritons tous une seconde chance. Nous méritons tous d’être aimés ».
En tant que cabinet juridique de référence au Canada, BLG est résolu non seulement à honorer les cultures et l’apport des peuples autochtones, mais également à se confronter à la dure réalité de l’héritage colonial honteux du pays. Le cabinet s’attend à ce que l’ensemble de ses membres suive la formation intitulée « Le parcours : votre voyage au sein du Canada autochtone », programme de quatre heures préparé par des Autochtones et offert par l’Association du Barreau canadien. Nous sommes également reconnaissants de pouvoir renforcer nos relations avec les gouvernements et organisations inuit, métis et des Premières Nations grâce à notre groupe de pratique national spécialisé en droit autochtone et dirigé par des associés et associées d’ascendance autochtone.