Troisième partie de la série de BLG sur l’économie de l’hydrogène
La Stratégie canadienne pour l’hydrogène (la Stratégie) a finalement été publiée et reprend plusieurs priorités établies dans le cadre des nombreuses initiatives provinciales déjà annoncées en matière d’hydrogène.
La Stratégie du gouvernement fédéral est unique tant par son ampleur que par sa reconnaissance de la nécessité d’adopter des stratégies à l’échelle régionale. Elle vise à faire du Canada l’un des trois premiers producteurs d’hydrogène au monde et établit un certain nombre d’objectifs sectoriels et industriels pour atteindre ce but ambitieux.
Les avantages du Canada
La Stratégie table sur six avantages que le Canada peut exploiter pour se démarquer sur le marché mondial de l’hydrogène, à savoir :
- l’abondance des matières premières : l’énergie à faible teneur en carbone, les combustibles fossiles, la capacité de stockage du CO2, l’approvisionnement en biomasse et les ressources en eau douce;
- une industrie innovante : la pile à hydrogène et le captage, l’utilisation et le stockage du carbone;
- le secteur énergétique : la capacité de « s’adapter rapidement pour inclure l’hydrogène à grande échelle comme devise énergétique »;
- les collaborations internationales : par l’intermédiaire du gouvernement, de l’industrie et des universités;
- Les exportations : la proximité des marchés d’exportation et la capacité de livrer par bateau ou par pipeline aux États-Unis, en Asie et en Europe;
- un « point de départ unique » : le Canada, qui est l’un des dix premiers producteurs d’hydrogène au monde, aspire à devenir l’un des trois premiers.
Le gouvernement fédéral cherche manifestement à mettre à profit nos abondantes ressources naturelles et les progrès réalisés jusqu’à maintenant en matière d’hydrogène. De plus, la reprise qui suivra la pandémie de COVID-19 est considérée comme un moment opportun pour un redressement financier et un repositionnement quant aux priorités nationales qui contribueront à une croissance verte.
Les huit piliers de la stratégie sur l’hydrogène
La Stratégie renferme pas moins de 32 recommandations réparties en huit « piliers » visant à promouvoir l’investissement et la collaboration au sein des secteurs et entre eux :
- Établir des partenariats stratégiques
- Mettre en place des politiques de financement et des mesures à long terme pour atténuer les risques liés aux investissements
- Favoriser la recherche-développement
- Moderniser les codes et les normes tant au Canada qu’à l’échelle internationale
- Intégrer l’hydrogène aux stratégies d’énergie propre à tous les ordres de gouvernement
- Sensibiliser le public
- Élaborer des plans d’action régionaux pour la production et l’utilisation de l’hydrogène
- Veiller à ce que les politiques internationales sur les carburants propres incluent l’hydrogène
Bref, la stratégie réunit aux niveaux local, national et international tous les éléments nécessaires au succès d’un programme sur l’hydrogène.
En plus des huit piliers, la Stratégie examine en détail la production, la distribution, le stockage et les utilisations finales de l’hydrogène. Pour chaque étape du cycle de vie de l’hydrogène, la Stratégie traite des objectifs à court terme (2020-2025), à moyen terme (2025-2030) et à long terme (2030-2050).
Production
Lors de l’annonce en ligne de la Stratégie, le gouvernement – en l’occurrence les ministres O’Regan (Ressources naturelles) et Wilkinson (Environnement) – a souligné ses deux principaux objectifs : la réduction des émissions et la création d’emplois. L’intensité carbonique de l’hydrogène revêt donc une importance capitale pour le gouvernement fédéral.
L’intensité carbonique mesure les émissions liées à la production de l’hydrogène. En bref, le gouvernement fédéral considère l’hydrogène bleu (l’hydrogène produit à partir du gaz naturel avec CUSC [captage, utilisation et stockage du carbone]) comme l’une des principales sources d’hydrogène à court terme, d’ici à ce que des énergies renouvelables et d’autres formes de production d’hydrogène sans émission soient mises au point et offertes à des prix compétitifs. Certaines provinces, notamment l’Alberta, produisent déjà de l’hydrogène gris (un hydrogène produit à partir de gaz naturel sans CUSC) et de l’hydrogène bleu, en plus petites quantités. L’objectif du gouvernement fédéral est d’augmenter le CUSC pour la production d’hydrogène, de manière à capter 50 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) le plus tôt possible, et 90 % d’ici 2030.
Les autres méthodes de production d’hydrogène (appelées « voies » dans la Stratégie) comprennent l’hydrogène électrolytique (utilisation de l’électricité propre pour séparer les molécules de H2 des molécules de H2O), l’hydrogène produit à partir de la biomasse (par gazéification de la biomasse sèche) et l’hydrogène généré en tant que sous-produit industriel. En décrivant les différentes voies de production d’hydrogène, le gouvernement souligne l’importance de la diversification régionale. La Stratégie mentionne également que l’électrification entraînera une augmentation de la demande d’électricité, en parallèle à l’augmentation de la demande d’hydrogène. C’est pourquoi le marché décidera quelle stratégie de réduction des émissions il convient d’adopter, chaque secteur étant en concurrence avec les autres pour l’approvisionnement en électricité propre ou sans émission. Pour favoriser la transition vers l’hydrogène vert, le gouvernement fédéral introduira des seuils pour la production d’énergies renouvelables dans les projets qu’il finance.
Distribution et stockage
La Stratégie expose les défis et les obstacles que posent la distribution et le stockage de l’hydrogène. Ces défis sont de taille; il y a notamment, d’une part, la nécessité de mettre sur pied une nouvelle infrastructure de distribution de gaz pour permettre la distribution locale d’hydrogène pur et, d’autre part, les difficultés techniques que pose le transport de l’hydrogène hors pipeline. Plus particulièrement, d’importants investissements en capital sont nécessaires pour construire l’infrastructure de distribution de l’hydrogène alors que la demande est croissante, mais imprévisible. La Stratégie fait mention des réserves géologiques uniques du Canada qui pourraient servir à stocker l’hydrogène, notamment les cavernes de sel et les puits de gaz naturel épuisés. Bien que la liquéfaction de l’hydrogène gazeux pose des problèmes de sécurité et qu’il s’agisse d’une activité à forte intensité énergétique, nécessitant jusqu’à 30 % de l’énergie stockée par l’hydrogène, elle est essentielle pour la distribution de l’hydrogène à grande échelle.
Compte tenu des défis mentionnés précédemment, la Stratégie met l’accent sur la production d’hydrogène à proximité des lieux où il sera utilisé, désignés sous le nom de « centres régionaux ».
Utilisations finales
La Stratégie vise trois catégories d’utilisations finales de l’hydrogène :
- Carburant pour le transport et combustible pour la production d’électricité
- Source de chaleur pour l’industrie et chauffage des bâtiments
- Matière première pour les produits, dont les produits chimiques
Carburant pour le transport
La Stratégie cible trois applications distinctes de l’hydrogène pour les carburants de transport :
Les véhicules électriques à pile à combustible : La Stratégie encourage l’utilisation de véhicules électriques à pile à hydrogène, notamment les véhicules légers pour le transport de passagers, les autobus et, à un degré que l’on reconnaît ambitieux, les camions lourds de transport longue distance, les trains et les applications des industries maritime et aéronautique. Pour ces applications, l’hydrogène est considéré comme un vecteur énergétique plus performant que la batterie électrique dans les climats plus froids.
Le gaz naturel comprimé : L’utilisation de l’hydrogène dans les réseaux de gaz naturel est également une priorité énoncée dans la Stratégie, puisque l’hydrogène dépasse, voire supplante les autres additifs pour carburants renouvelables.
La combustion mixte avec le diesel : Enfin, il est possible de combiner l’hydrogène avec le diesel en modernisant les moteurs diesel à combustion interne des camions. Comme cette application sera vraisemblablement transitoire, les incitatifs en sa faveur seront de courte durée.
Combustible pour la production d’électricité
L’hydrogène peut être utilisé comme combustible pour la production d’électricité par combustion ou dans des centrales électriques à piles à combustible stationnaires. En ce qui concerne la combustion, comme pour les pipelines de distribution, les infrastructures et les installations de production actuelles ne peuvent traiter qu’un mélange comportant de 10 à 15 % d’hydrogène. L’hydrogène ne pourrait donc pas être utilisé dans les centrales au gaz actuelles. Les turbines capables de brûler de l’hydrogène pur sont toujours en cours de mise au point, mais devraient entrer en service dans un avenir proche. L’hydrogène peut cependant offrir des capacités de gestion de la charge ainsi que des capacités quotidiennes ou même saisonnières de stockage d’énergie à échelle industrielle, en plus de faciliter l’essor des énergies renouvelables.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, leur stockage sera essentiel. L’électricité renouvelable excédentaire peut être utilisée en dehors des heures de pointe pour produire de l’hydrogène par électrolyse. Cette énergie peut être stockée sur place et utilisée pour produire de l’électricité pendant les périodes de pointe (par combustion ou par pile à combustible stationnaire) ou injectée dans le réseau de gaz naturel pour réduire son intensité carbonique (processus désigné sous le terme de « transformation de l’électricité en gaz »). La Stratégie mentionne que l’Ontario, en particulier, aura la possibilité d’utiliser les énergies renouvelables qui proviendront de ses ententes d’achat d’énergie au cours de la décennie. L’augmentation de la proportion des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique du Canada permettra d’accroître le potentiel de l’hydrogène à faibles émissions de carbone. Le stockage de l’énergie à grande échelle au moyen de l’hydrogène accroîtra également la rentabilité des énergies renouvelables. Comme il en est fait mention dans la deuxième partie de la série de BLG sur l’hydrogène, l’Europe compte principalement sur les énergies renouvelables pour soutenir sa croissance dans le domaine de l’hydrogène.
Source de chaleur pour l’industrie et chauffage des bâtiments
L’hydrogène pourrait être utilisé par l’industrie en remplacement du gaz naturel qui est brûlé pour produire de la chaleur industrielle sous forme de vapeur. Le secteur pétrolier et gazier canadien contribue grandement aux émissions de GES; en 2018, il comptait pour 26 % des émissions totales. L’hydrogène à faible intensité carbonique peut offrir des avantages en matière de réduction des émissions, tant dans les procédés d’extraction en amont que dans les procédés de raffinage en aval. Les industries du ciment et de l’acier sont deux autres secteurs qui pourraient bénéficier considérablement de l’hydrogène à faibles émissions de carbone.
L’hydrogène peut réduire les émissions résultant du chauffage des bâtiments en contribuant à décarboniser le réseau de gaz naturel. Or, le mélange de l’hydrogène destiné à une utilisation dans les infrastructures de distribution et de combustion du gaz naturel pose des difficultés. La Stratégie propose d’accroître la recherche-développement dans ce domaine et d’élaborer des projets pilotes pour la mise sur pied de mini réseaux d’hydrogène.
Matière première pour l’industrie
L’hydrogène est principalement utilisé par l’industrie lourde comme matière première. Les quatre principaux secteurs qui utilisent l’hydrogène sont le raffinage du pétrole, la production d’ammoniac, la production de méthanol et la production d’acier. L’hydrogène actuellement utilisé dans l’industrie lourde est l’hydrogène gris (produit à partir du gaz naturel). L’hydrogène à faibles émissions de carbone offre donc d’excellentes possibilités de réduction des émissions. La Stratégie souligne que la meilleure façon de réduire les émissions liées à l’hydrogène gris utilisé par l’industrie lourde, notamment l’industrie pétrolière et gazière, consiste à adapter la technologie de conversion existante au CUSC.
Réduction des émissions
Le gouvernement fédéral estime que si la Stratégie est mise en œuvre comme prévu, elle pourrait permettre de réduire les émissions à hauteur de 45 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an d’ici 2030, selon un scénario ambitieux. Afin de respecter l’engagement pris au titre de l’accord de Paris, le Canada doit réduire ses émissions d’environ 720 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an d’ici 2050. Le gouvernement fédéral entend atteindre la majeure partie de cet objectif en augmentant régulièrement la taxe sur les émissions carboniques, tout en remboursant l’argent perçu aux Canadiens, comme il en fait mention dans son plan sur les changements climatiques récemment publié. Toutefois, la Stratégie insiste sur l’importance de l’hydrogène pour atteindre ces objectifs de réduction des émissions. D’ici 2050, l’hydrogène pourrait en effet aider le Canada à réduire ses émissions de GES de 145 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, ce qui représente environ 20 % de l’objectif global de réduction des émissions du Canada.
Quelle est la première étape?
La Stratégie comporte des objectifs à court, moyen et long terme dans un certain nombre de secteurs. Les priorités absolues du gouvernement fédéral sont les suivantes :
- Favoriser l’essor des « centres » de déploiement de l’hydrogène pour les applications matures et soutenir les technologies de démonstration.
- Mettre la dernière main à la Norme sur les combustibles propres et d’autres règlements pour favoriser les investissements à court terme.
- Élaborer de nouvelles mesures politiques et réglementaires pour atteindre les objectifs de carboneutralité du gouvernement fédéral d’ici 2050.
Le Canada a beaucoup à faire pour devenir un chef de file mondial de l’hydrogène, mais la Stratégie nationale pour l’hydrogène est à la hauteur de cet objectif ambitieux.