Le 8 mai 2020, la Cour suprême du Canada (CSC) a fait connaître les motifs de sa décision dans l’affaire 9354-9816 Québec Inc. et al. c. Callidus Capital Corporation, et al rendue le 23 janvier 2020. La Cour suprême du Canada a accueilli à l’unanimité le pourvoi contre la décision de la Cour d’appel du Québec, rétablissant ainsi une ordonnance autorisant le financement de litige par un tiers dans le cadre de procédures d’insolvabilité.
Contexte
En novembre 2015, un consortium d’entités qui fabrique, distribue, installe et entretient des appareils de jeux électroniques pour casino (Bluberi) s’est placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Dans le cadre de ces procédures engagées en vertu de la LACC, Bluberi a présenté au tribunal une demande pour obtenir le droit de :
- recevoir du financement de litige de la part de Bentham IMF Capital, maintenant Omni Bridgeway Capital (Canada) Limitée (Bentham), garanti par les éléments d’actif de Bluberi;
- constituer une charge super-prioritaire (liée au financement du litige) de 20 millions de dollars en faveur de Bentham.
Callidus Capital Corporation (Callidus), un créancier garanti, ainsi que certains créanciers non garantis, ont contesté la demande de Bluberi en faisant valoir que l’accord de financement de litige par un tiers (AFL) était un plan d’arrangement, et par conséquent, devait être soumis au vote des créanciers.
Les motifs de la CSC
En s’exprimant au nom de la majorité, le juge en chef Wagner ainsi que le juge Moldaver ont conclu que la LACC accorde aux juges un vaste pouvoir discrétionnaire pour rendre toute ordonnance appropriée selon les circonstances, sous réserve uniquement des restrictions prévues dans la LACC. Ce vaste pouvoir discrétionnaire comprend l’approbation du financement temporaire du débiteur, qui peut se présenter sous diverses formes. Lorsque le débiteur ne possède aucun élément d’actif outre une réclamation, comme c’est le cas pour Bluberi, le financement de litige par un tiers favorise le financement temporaire en vue de permettre au débiteur de réaliser la valeur de cet élément d’actif, ce qui pourra bénéficier à ses créanciers.
Puisque le juge surveillant a une expertise et une connaissance des dossiers en matière d’insolvabilité, il faut faire preuve de déférence à l’égard de ses décisions. La question de savoir s’il y a lieu d’approuver un AFL à titre de financement temporaire commande une analyse fondée sur les faits de l’espèce qui doit tenir compte du libellé du par. 11.2(4) de la LACC et des objectifs réparateurs de la LACC de façon plus générale.
En confirmant la décision du juge surveillant d’autoriser l’accord de financement de litige de Bluberi, la CSC a conclu que le juge surveillant avait adéquatement pris en compte les objectifs de la LACC, l’équité entre les parties intéressées et les circonstances particulières de l’affaire. Étant donné le rôle du juge surveillant dans ces procédures et la bonne connaissance qu’il en a, le juge a examiné adéquatement les facteurs de LACC qui servent à déterminer s’il convient d’approuver un financement temporaire, notamment la question de savoir si le financement favoriserait un arrangement viable ou porterait préjudice à un créancier.
La CSC a conclu que l’AFL ne constitue pas un plan d’arrangement devant être soumis au vote des créanciers. Un plan d’arrangement en vertu de la LACC doit comporter une certaine transaction à l’égard des droits des créanciers. Les AFL ne comprennent pas toujours de telles transactions : en tant que financement temporaire, leur objectif est de permettre au débiteur de réaliser la valeur de sa réclamation. Essentiellement, le financement temporaire permet la préservation des actifs du débiteur ainsi que la réalisation de leur valeur. Le fait que Bentham puisse recevoir une part des sommes obtenues dans le cadre du litige ne compromet pas les droits des créanciers sur ces sommes. Si ces sommes sont suffisantes, les créanciers seront payés en entier. Si toutefois elles sont insuffisantes, un plan d’arrangement ultérieur établira la façon dont les sommes seront distribuées.
En ce qui concerne la conclusion du tribunal inférieur voulant qu’il y ait eu un but illégitime, la CSC a déterminé que le juge surveillant avait correctement exercé sa compétence en vertu de l’article 11 de la LACC. En particulier, le plan d’arrangement initial de Callidus n’a pas reçu un soutien suffisant de la part des créanciers. Malgré cela, Callidus a proposé un nouveau plan d’arrangement presque identique au premier et a également demandé au juge surveillant la permission de voter sur ce nouveau plan dans la même catégorie que les créanciers non garantis de Bluberi, au motif que sa sûreté ne valait rien. La CSC a reconnu que Callidus tentait d’évaluer stratégiquement la valeur de sa sûreté afin de prendre le contrôle du vote et ainsi contourner la démocratie entre les créanciers que défend la LACC.
Finalement, la CSC a conclu que la charge liée au financement de litige grevant les biens de Bluberi en faveur de Bentham n’a pas eu pour effet de transformer l’AFL en plan d’arrangement, même lorsqu’elle subordonnait les sûretés d’autres créanciers à celle de Bentham. La LACC prévoit expressément que le juge surveillant peut accorder une telle sûreté sans l’approbation des créanciers.
Portée de la décision
La décision de la CSC est particulièrement importante puisqu’elle s’y penche pour la première fois sur la question du financement de litige. Elle vient clarifier les règles régissant le financement de litige par un tiers dans le contexte de procédures d’insolvabilité. La CSC a réitéré les principes fondamentaux qui s’appliquent aux procédures de liquidation intentées sous le régime de la LACC.
La cour de dernière instance confirme pour la première fois que la LACC peut servir, lorsque les circonstances s’y prêtent, à liquider les éléments d’actifs et les activités commerciales d’un débiteur, et ne se limite donc pas aux transactions et arrangements dans le cadre de procédures de recouvrement des créances. La décision fait du financement de litige par un tiers une forme acceptable de financement temporaire, soumis à l’approbation d’un juge surveillant au cas par cas.
Il faut souligner qu’en dépit du fait que les AFL ne seront généralement pas soumis à l’approbation des créanciers, il demeure qu’une telle approbation sera requise dans certains cas. Les juges surveillants pourront déterminer qu’un accord doit être accompagné d’un plan d’arrangement et soumis à un vote des créanciers. Le juge surveillant pourra également déterminer si l’accord contient des modalités qui en font un plan d’arrangement, comme des modalités de distribution du produit de la liquidation entre les créanciers.
En dernier lieu, la CSC a mentionné que la modification apportée au paragraphe 11.2(5) de la LACC, qui ne s’appliquait pas dans le cas de Bluberi, pourrait restreindre le pouvoir du juge surveillant d’approuver un AFL à titre de financement temporaire au moment d’une ordonnance initiale.
1 Vous trouverez plus d’information sur cette affaire dans un article publié antérieurement par BLG (en anglais seulement).