une main qui tient une guitare

Perspectives

POINT DE VUE

Pétrole et gaz : questions actuelles, orientations futures

L’avenir du pétrole et du gaz dépend de l’interaction dynamique entre l’industrie, les préférences des consommateurs et les tendances émergentes.

Changement de cap du côté des transports

Bien que l’avenir de l’industrie semble inchangé d’un point de vue global, Martin Roemheld, chef des services de mobilité électrique de VW, estime que l’industrie doit aller dans la même direction que le consommateur.

István Kapitány, vice-président directeur du détail mondial de Shell, est plus direct : « Tout ce qui compte, ce sont les clients et les contribuables. »

Rien de nouveau sous le soleil, pourrait-on croire, sauf que les consommateurs et les contribuables semblent changer de direction.

« L’avenir appartient à la durabilité intelligente, qui passe par la décarbonisation et la numérisation, affirme M. Roemheld. Les entreprises qui sauront tirer profit de ces deux tendances lourdes demeureront concurrentielles. »

Peter Bryan de BLG est d’accord : « Les gens éprouvent un malaise depuis longtemps déjà : ils veulent du changement, et non la répétition des cycles passés. »

VW a joint l’acte à la parole. La société s’attend à ce que les livraisons d’ID.3, qu’elle décrit comme le « premier véhicule électrique (VE) grand marché rentable », commencent en 2020. Pour sa part, Mercedes a abandonné le moteur à combustion interne qui, selon toute apparence, sera bientôt obsolète.

« D’ici 2030, je m’attends à ce que le marché des véhicules légers soit entièrement électrique », prévoit M. Roemheld.

À vrai dire, la principale inquiétude de VW est d’être incapable de répondre à la demande.

« Les gens sous-estiment la rapidité du changement, affirme Graeme Edge, cofondateur d’Energy Disruptors. Comme les véhicules légers représentent 50 % de la demande actuelle en pétrole, il y a lieu de se demander quelle sera la place des hydrocarbures si les gens adoptent les VE en masse. »

M. Edge s’attend à ce que d’ici peu, des villes d’Europe et d’Asie interdisent entièrement les moteurs à combustion interne. Deux faits récents soutiennent sa prédiction : Amazon a récemment annoncé une commande de 100 000 fourgonnettes de livraison électriques de Rivian, une jeune entreprise du Michigan, dont 10 000 devraient être sur la route d’ici 2022, et la totalité d’ici 2030. En outre, Ford s’est engagée à investir 11,5 milliards de dollars américains dans une stratégie d’électrification « globale », qui comprend la livraison de la version électrique du F-150 d’ici 2021.

La popularité croissante du covoiturage pourrait également être déterminante pour l’avenir de l’industrie.

« Ce n’est pas surprenant, étant donné que les véhicules légers sont inutilisés 95 % du temps », souligne M. Edge.

Robin Chase, cofondatrice et ancienne chef de la direction de Zipcar, cite les applications de taxi et de transport comme preuve que la technologie a simplifié le covoiturage.
« Les microvéhicules, comme les bicyclettes et les trottinettes électriques, sont appelés à gagner en popularité, car 50 % des déplacements sont d’une distance de moins de cinq kilomètres, affirme-t-elle. En 2018 aux États-Unis, la micromobilité a plus que doublé en importance par rapport à 2017, avec 84 millions de déplacements. »

Maintien des investissements dans le pétrole et le gaz

Malgré cela, l’utilisation du pétrole et du gaz comme sources d’énergie n’est pas près de disparaître. Les statistiques indiquent que :

  • le pétrole et le gaz seront encore utilisés comme sources d’énergie pendant 20 à 30 ans;
  • l’OPEP s’attend à ce que la demande mondiale en pétrole atteigne 112 millions de barils par jour (b/j) d’ici 2040, particulièrement en raison des pays en voie de développement, de la forte croissance de la population et de l’élargissement de la classe moyenne;
  • l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la consommation mondiale de pétrole sera d’environ 105 millions de b/j en 2025;
  • le groupe Det Norske Veritas (DNV) affirme que le pétrole et le gaz répondront encore à 46 % de la demande mondiale en énergie en 2050;
  • la croissance de la demande en plastique et autres produits dérivés des hydrocarbures compensera dans une certaine mesure la diminution de la consommation de pétrole dans le secteur du transport;
  • la diminution naturelle des réserves, estimée à 2 ou 3 % par année, devra être palliée.

Par conséquent, Mark Little, président et chef de la direction de Suncor Énergie Inc., juge qu’il faut continuer à investir dans la production pétrolière.

« Même les projections les plus optimistes sur la disponibilité des énergies de remplacement indiquent qu’en l’absence d’investissements dans le pétrole, nous manquerons de ressources énergétiques, explique-t-il. Le Canada est l’une des deux seules démocraties capables de fournir le pétrole dont le monde a toujours besoin tout en respectant la primauté du droit et en demeurant un modèle de stabilité politique. »

Augmentation de la demande mondiale en gaz naturel

Possiblement plus importante est l’augmentation prévue de la demande mondiale en gaz naturel qui, selon l’AIE, devrait se chiffrer à plus de 1,6 % au cours des cinq prochaines années, ce qui représente une demande de 4,3 billions de pieds cubes (BPC) en 2024.

Selon M. Bryan, l’augmentation de la demande en gaz naturel est attribuable aux facteurs suivants :

  • la demande en Chine, qui représente près de la moitié de la croissance de la demande jusqu’en 2035 et dépasse la demande combinée des dix pays suivants, y compris les États-Unis;
  • le remplacement du charbon comme source d’énergie;
  • le soutien aux énergies renouvelables.

McKinsey estime que la demande en gaz naturel continuera à croître dans tous les secteurs, particulièrement dans le secteur industriel, jusqu’en 2035, où elle sera 20 % supérieure à la demande actuelle. (La demande devrait se stabiliser après 2035.)

Miles Pittman de BLG, qui a visité la Chine au moins une fois par année dans les cinq dernières années, constate des preuves empiriques de la demande. « Il ne fait aucun doute que les Asiatiques souhaitent acheter notre gaz naturel », affirme-t-il.

Selon Richard Eisenbraun de BLG : « Même s’il est impératif de se tourner vers de nouvelles sources d’énergie, le pétrole et le gaz ont encore un rôle important à jouer ».

D’ailleurs, selon des recherches commandées par The Guardian et menées par Rystad Energy, le cabinet-conseil norvégien dont les données servent de référence au secteur du pétrole et du gaz, la production des 50 principales sociétés pétrolifères et gazières devrait augmenter de 8 % entre 2018 et 2030, soit quelque sept millions de b/j supplémentaires pour répondre à la demande en pétrole.

Une transition graduelle

Résultat, l’industrie du pétrole et du gaz peut s’attendre à ce que la transition soit graduelle, et non cataclysmique.

« Après tout, 85 % de nos besoins actuels en énergie sont toujours comblés par des combustibles fossiles », souligne Peter Tertzakian, économiste, stratège en investissement, auteur et directeur général de l’ARC Energy Research Institute.

Il suggère que pour assurer leur survie à long terme, les sociétés doivent tirer profit de la période de transition et des perturbations qu’elle entraîne.

Il ne fait aucun doute que l’industrie – ou à tout le moins ses principaux acteurs – comprend le message.

Pour mieux répondre aux attentes des consommateurs, Shell entend réduire de moitié l’empreinte carbone des produits d’énergie qu’elle vend d’ici 2050. Ses sept thèmes stratégiques s’inscrivent dans cette stratégie : pétrole et gaz traditionnels, forage en eaux profondes, gaz de schiste, gaz naturel intégré, produits dérivés du pétrole, produits chimiques et nouvelles énergies, un secteur d’activités récemment créé qui est consacré aux nouvelles sources d’énergie et aux nouveaux carburants.

« Shell détient actuellement 40 000 bornes de recharge pour véhicules électriques, affirme M. Kapitány. D’ici 2025, 20 % de nos bénéfices devraient provenir des énergies renouvelables. »

Pour sa part, Suncor passera du huitième au troisième rang des producteurs d’électricité d’Alberta avec l’entrée en fonction d’unités de cogénération pouvant produire 800 MW d’électricité à son usine de base du secteur Sables pétrolifères, un investissement de 1,4 milliard de dollars annoncé récemment. Le projet réduira d’environ 25 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la société associée à la production de vapeur dans les installations.

De toute évidence, l’énergie électrique représente une occasion en or.

« Le secteur de l’énergie électrique ne compte aucune multinationale dont la capitalisation boursière s’approche de la marque des 400 milliards de dollars, comme c’est le cas pour Exxon », note Ed Crooks, vice-président de l’énergie pour les Amériques de Wood MacKenzie et ancien rédacteur spécialisé en énergie du Financial Times.

De nombreuses sociétés pétrolifères et gazières traditionnelles ont recours à des acquisitions, des partenariats et des changements d’image de marque pour saisir le potentiel de croissance du secteur de l’électricité et des énergies renouvelables. Par exemple, Total a acquis SunPower afin de créer un nouveau géant mondial du secteur de l’énergie solaire, tandis que la société First Utility a été rebaptisée Shell Energy Retail Ltd. par Shell en mars 2019, au moment où la société annonçait que tous ses clients résidentiels au Royaume-Uni étaient désormais alimentés en électricité entièrement renouvelable.

« Toutes les grandes sociétés européennes ont démontré leur intention stratégique de se tourner vers les nouvelles sources d’énergie, remarque M. Crooks. Même si les investissements demeurent modestes par rapport à ceux du secteur pétrolier et gazier, on peut certainement s’attendre à une augmentation. »

Par conséquent, Jason Wang de BLG s’attend à un changement sur le plan des stratégies d’opérations.

« Je crois qu’il y aura plus de coentreprises que d’achats d’actifs, et plus de placements que de rachats », affirme-t-il.

Les clients de BLG appartenant au secteur de l’énergie peuvent s’attendre à de nouvelles perspectives et des stratégies novatrices de la part de leur conseiller.

M. Bryan conclut sur ces mots : « À partir de maintenant, j’indiquerai clairement à mes clients que les façons de faire traditionnelles ont changé, et que pour survivre et prospérer, ils devront s’ouvrir aux nouvelles façons de penser qui secouent les vieilles habitudes de leur industrie. »