Dans une décision rendue le 30 janvier 2017, une commission d'enquête de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse a conclu qu'une caisse d'assurance syndicale avait eu une conduite discriminatoire envers un demandeur handicapé en refusant sa demande de remboursement de marijuana thérapeutique.
Contexte
Alors qu'il exerçait ses activités de mécanicien d'ascenseur, Gordon « Wayne » Skinner a été blessé dans une collision automobile et n'a pas pu reprendre le travail. Pour traiter les blessures physiques et psychologiques liées à cet accident, on lui a prescrit pendant plusieurs années des médicaments conventionnels qui ont progressivement perdu leur efficacité et se sont accompagnés d'effets secondaires désagréables. Pendant les deux années subséquentes, M. Skinner s'est légalement vu prescrire de la marijuana thérapeutique et rembourser les frais connexes par l'assurance automobile de son employeur. À l'atteinte du plafond prévu par cette dernière, il a demandé à être couvert par le régime d'assurance offert aux employés syndiqués dans le secteur des ascenseurs (le « régime d'aide sociale »).
Les fiduciaires du régime d'aide sociale ont rejeté sa demande de remboursement de marijuana thérapeutique en vertu des modalités de ce dernier et ont refusé d'exercer leur pouvoir discrétionnaire pour approuver la réclamation. M. Skinner en a appelé aux fiduciaires à plusieurs reprises et fourni des documents médicaux exhaustifs pour appuyer sa réclamation. Il a ensuite déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse dans laquelle il affirme avoir fait l'objet d'une discrimination en raison de son incapacité physique et psychologique, que la Commission des droits de la personne a ensuite renvoyée à une commission d'enquête pour audience.
Audience
La commission d'enquête devait déterminer si le refus des fiduciaires de rembourser la marijuana thérapeutique constituait de la discrimination illégale aux termes de la Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse et, dans l'affirmative, si les fiduciaires pouvaient justifier leur refus pour un motif autre que la discrimination et démontrer qu'on avait adopté des mesures d'accommodement jusqu'au point de la contrainte excessive.
À l'audience, les fiduciaires ont soutenu que le refus de prise en charge ne constituait pas de la discrimination, et ce, pour les raisons suivantes :
- La marijuana thérapeutique n'est pas un médicament approuvé par Santé Canada aux termes de la Loi sur les aliments et drogues;
- La marijuana thérapeutique ne possède pas de numéro d'identification (DIN);
- La marijuana thérapeutique n'est pas un médicament approuvé au titre du régime d'aide sociale;
- M. Skinner devrait, dans tous les cas, demander à bénéficier du régime d'assurance-maladie provincial, car ses blessures font suite à un accident de travail.
La commission d'enquête a soigneusement examiné les modalités du régime d'aide sociale, qui prend en charge [traduction] les « médicaments et traitements nécessaires médicalement […] obtenus sur ordonnance seulement ». Dans sa décision, elle n'a pas jugé pertinent de tenir compte du statut d'approbation de la marijuana thérapeutique par Santé Canada ni de l'existence d'un DIN connexe pour déterminer les exigences de prise en charge par le régime d'aide sociale. De plus, la possibilité pour M. Skinner de bénéficier du régime d'assurance-maladie provincial ne constituait pas une défense valable face à une allégation de discrimination, bien qu'elle puisse s'avérer pertinente en cas d'évaluation des dommages et intérêts liés à l'absence de couverture. Dans tous les cas, M. Skinner s'était vu refuser une couverture provinciale et faisait appel de cette décision.
En ce qui concerne la nécessité médicale, les preuves présentées par M. Skinner et les médecins ont supporté l'allégation selon laquelle la marijuana thérapeutique lui permettait d'apaiser ses douleurs et d'éviter les effets secondaires des narcotiques traditionnels. Seul un conseiller médical de la Commission d'indemnisation des accidentés du travail a fourni un avis médical contraire et a recommandé à M. Skinner de prendre rendez-vous avec un médecin spécialisé au niveau des douleurs chroniques. M. Skinner a consulté ce spécialiste, qui a supporté sa consommation de marijuana thérapeutique.
Quant aux prescriptions, M. Skinner a obtenu légalement une ordonnance de marijuana à des fins thérapeutiques et s'en est procuré auprès de producteurs approuvés. Aucune preuve ne vient contredire ces faits.
La commission d'enquête a donc conclu que le refus d'offrir une protection à M. Skinner constituait de la discrimination indirecte. L'analyse a ensuite porté sur la capacité des fiduciaires à justifier la discrimination ou à démontrer l'existence d'une contrainte excessive.
Aucun élément attestant l'existence d'une contrainte excessive
Il est intéressant de noter que les fiduciaires n'ont apporté aucune preuve de contrainte excessive qu'aurait entraînée la prise en charge de la marijuana thérapeutique de M. Skinner. Ils ont estimé le coût d'une extension de couverture, incluant sa consommation de marijuana thérapeutique, à 60 $ par jour, mais cette estimation ne reposait sur aucun fondement tangible. On ne sait donc pas si ce traitement serait plus coûteux que les narcotiques traditionnels prescrits auparavant à M. Skinner.
On ignore également si les fiduciaires avaient une quelconque raison de croire que la prise en charge de la marijuana thérapeutique mettrait financièrement en péril le régime d'aide sociale. Les défendeurs pourront à l'avenir demander la présentation de telles preuves et contester l'argument d'une contrainte excessive dans le cadre de différends relatifs à la prise en charge de médicaments particuliers.
Ordonnance de réparation provisoire
La commission d'enquête a ordonné aux fiduciaires d'offrir une couverture provisoire à M. Skinner et de lui rembourser le coût de la marijuana médicale obtenue légalement. D'autres mesures de réparations (p. ex. dommages et intérêts) seront déterminées lors d'une audience ultérieure. On ne sait pas encore si cette décision sera portée en appel.
Prochaines affaires
Cette décision ne prévoit pas la prise en charge de la marijuana thérapeutique par tous les régimes d'avantages sociaux. En réalité, la commission d'enquête a indiqué expressément que [traduction] « [cette décision] ne signifie pas que tous les régimes d'avantages sociaux publics et privés offerts aux employés doivent prendre en charge la marijuana thérapeutique ou n'importe quel autre médicament d'ailleurs. » [paragraphe 200]. De plus, elle a affirmé qu'[traduction] « [aucun] régime d'avantages sociaux ne peut couvrir tous les maux de la planète et rester viable sur le plan financier. » [paragraphe 20].
La commission d'enquête a tenu à préciser qu'on ne lui avait transmis aucune affaire pertinente dans laquelle on appliquait les lois sur les droits de la personne à une allégation de régime d'avantages sociaux discriminatoire. Cependant, toute future affaire de discrimination nécessitera certainement une interprétation du régime d'avantages sociaux considéré. Ses administrateurs devront justifier leur décision pour un motif autre que la discrimination et fournir des preuves de contrainte excessive dans le cadre d'un refus de prise en charge de marijuana thérapeutique. Les demandeurs, de leur côté, devront offrir suffisamment de preuves pour étayer leur réclamation. Dans l'affaire qui nous intéresse, M. Skinner a présenté de nombreuses preuves démontrant une nécessité médicale et son respect de la réglementation actuelle sur la marijuana thérapeutique.
La prise en charge de la marijuana thérapeutique par des prestataires publics a été envisagée en Ontario, mais les résultats varient considérablement selon la législation applicable et la situation personnelle. Par exemple, le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a rejeté les allégations de discrimination contre le Programme de médicaments de l'Ontario au motif qu'il n'existait aucune raison pertinente dans le Code des droits de la personne pour refuser une couverture, mais qu'il s'agissait plutôt d'un différend lié à l'efficacité et à la sécurité du traitement médical en cause (Kueber c. Ontario [Procureur général], 2014 TDPO 769). En revanche, le Tribunal d'appel de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail de l'Ontario a remboursé à plusieurs reprises les frais engagés par les travailleurs blessés pour de la marijuana thérapeutique (Décision n° 1864/16, 2016 TASPAATO 2674).