Récemment, nous avons remarqué que les plaintes pour discrimination que déposent des employés de clients suivent une tendance, à savoir que ces employés combinent une plainte fondée sur une déficience et sur la situation de famille. Ce type de réclamation est particulièrement difficile à gérer parce que l'employé qui présente la réclamation cherche toujours à obtenir un accommodement qui tient à la fois compte de ses limitations physiques et qui vise en même temps à modifier son horaire de travail. Une difficulté additionnelle est observée, résultant du manque de clarté et d'uniformité dans l'application du critère juridique entourant la discrimination basée sur la situation de famille. Une décision récente du Tribunal des droits de la personne de l'Ontario, Misetich v. Value Village Stores Inc. 2016 HRTO 1229 (publiée le 20 septembre 2016) illustre cette dernière difficulté.
Dans la cause Misetich, la demanderesse travaillait au service de la « production » du magasin d'occasions Village des valeurs. Elle devait trier les articles, les disposer sur des présentoirs et les transporter à l'étage où ils étaient mis en vente au détail. Les employés affectés à la production travaillaient le jour, du lundi au vendredi. Il était pratique courante de transférer des employés qui, pour des raisons physiques, avaient besoin d'être accommodés, en les faisant passer de la production à la vente au détail. L'employé affecté à la vente au détail était chargé d'aider les clients au téléphone et en personne et de s'occuper de la caisse. L'horaire de travail associé à ce poste était le suivant : quarts de jour, de soirée, de week-end ainsi que sur appel.
La demanderesse a développé des troubles musculo squelettiques et a fourni une preuve médicale de limitations fonctionnelles concernant son bras, son poignet et sa main gauche lorsqu'il était question de les plier, de faire un mouvement circulaire ou de soulever des objets. On l'a donc transférée de la production à la vente au détail. Elle a par la suite informé son employeur qu'elle ne pouvait travailler le soir, le week-end ou sur appel parce qu'elle devait s'occuper de sa mère âgée.
À de nombreuses reprises, les arbitres, les cours et les tribunaux des droits de la personne ont tenté de définir la notion de discrimination fondée sur la situation de famille. Nous savons au moins que l'expression « situation de famille» englobe la relation parent-enfant (ce qui peut inclure les soins à donner à un enfant, ceux à fournir à une personne âgée, ou ces deux types d'activité à la fois) et les obligations qui découlent de ces relations. Là où le bât blesse, c'est lorsqu'on tente de définir précisément les obligations qui, lorsqu'elles ne sont pas respectées, entraînent des pratiques discriminatoires ainsi que les étapes, s'il en est, que doit prendre un requérant qui invoque la situation familiale comme motif de discrimination pour améliorer la situation.
Maints observateurs pensaient que la Cour d'appel fédérale avait fait d'énormes progrès en clarifiant le critère de discrimination, dans la décision Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 FCA 110 (CanLII) (« Johnstone » ). Dans ce jugement, la Cour a appliqué un critère à quatre volets stipulant ce qui suit : dans le contexte des soins à donner à un enfant, l'obligation parentale doit être telle que, en cas de non-accomplissement, elle entraînerait des conséquences sur le plan juridique pour les parents; le requérant doit avoir pris des mesures pour trouver des solutions de rechange; et la règle en milieu de travail contestée restreint le requérant d'une façon « plus que substantielle » dans l'accomplissement de son obligation parentale.
Dans la cause Misetich, le vice-président Scott passe en revue les principales causes ayant trait à la discrimination fondée sur la situation de famille et propose un autre critère afin de déterminer s'il y a discrimination. Ce nouveau critère, qui n'est pas précisément formulé mais implicite, ne se limite pas aux cas où le non-respect de l'obligation de donner des soins entraînerait des conséquences juridiques pour les parents ou signifierait qu'il y a un manquement quant au devoir « de fournir les besoins essentiels ». Il faut plutôt que les obligations soient « importantes » (significant). De plus, il semble que le critère soit « contextuel », c'est-à-dire qu'il changera si l'employé est le seul à prodiguer les soins. Le critère que l'on propose semble également libérer l'employé de l'obligation de démontrer qu'il a cherché des solutions de rechange pour régler le problème, puisque le Tribunal réitère qu'il incombe à l'employeur de démontrer que l'accommodement représente pour lui une contrainte excessive.
Ironiquement, dans la cause Misetich, le Tribunal rejette la réclamation de l'employée sur la base que sa déclaration à l'effet qu'elle devait préparer le repas du soir de sa mère n'équivalait pas à une obligation significative de soins à prodiguer. Or, si elle avait démontré que cette obligation était importante et qu'il y avait eu ingérence, on aurait reconnu une situation de discrimination.
Malheureusement, il semble que la difficulté d'élaborer un critère universellement accepté concernant la discrimination basée sur la situation de famille risque de se poursuivre encore quelque temps.